LOGAN LUCKY

Un film de Steven Soderbergh

Retour gagnant pour Steven Soderbergh

Les deux frères Jimmy et Clyde Logan n’ont décidément pas de chance : le premier est ouvrier et vient tout juste de perdre son emploi ; le second est revenu de la guerre avec une main en moins et végète derrière le comptoir d’un bar. Un jour, ils décident de monter un braquage à haut risque visant à empocher les recettes d’une course automobile à grande audience, et ce pendant la course elle-même. L’aide du fameux Joe Bang – alias le meilleur braqueur de coffre-fort du pays – leur serait bien utile. Seul problème : il est en prison. Un stratagème particulièrement tordu va donc être mis en place…

Il avait promis qu’il arrêterait. Il avait promis que le cinéma c’était fini, que la télévision serait une bonne compensation (on lui devait récemment deux saisons de la série "The Knick"), et que la peinture – son autre grande passion – serait désormais sa priorité. Réjouissons-nous de voir qu’il n’a pas su tenir parole : Steven Soderbergh est de retour. En grande forme qui plus est, car toujours aussi redoutable dans son subtil saucissonnage des codes les plus éculés du film populaire américain. Il est ici de nouveau question de braquage, gavé de stars hollywoodiennes glamour et bien lookées, mais attention à ne pas s’attendre pour autant à un "Ocean’s 14". A bien des égards, le braquage en soi importe ici moins que le décor dans lequel il se déroule, à savoir la Virginie-Occidentale. Soit l’Etat où l’actuel locataire frappadingue de la Maison-Blanche a recueilli le plus haut taux de suffrages à la dernière élection présidentielle. Donald Trump dans le viseur du réalisateur de "Traffic" ? C’était trop beau pour être vrai. Et en effet, c’était un peu exagéré d’y croire.

On ne doute donc pas une seconde que les spécimens rednecks qui défilent à l’écran – frangins en pyjama craspec, taulard à grosses cojones, bimbos à jupe courte, sportifs produits du consumérisme – portent en eux seuls un caractère éminemment caricatural à la lisière de ce que les frères Coen ont pu exploiter tout au long de leur filmographie. Sauf qu’à l’inverse du ton empathique propre aux Coen (toujours attachés à des personnages de la rue qui échouent à se libérer du système qui les compartimente), le point de vue de Soderbergh se veut humaniste à distance raisonnable, voire taquin sans propension à la satire totale. En se plaçant le plus éloigné possible du discours tout en restant en pôle position de la course à la surprise, Soderbergh renoue avec une de ses plus grandes forces : utiliser l’étude de caractères au travers d’une situation chaotique et joyeusement barrée pour produire des ironies situationnelles on ne peut plus délicieuses. Les enjeux de la vie privée ne cessent jamais ici d’entrer en contradiction avec les enjeux du braquage, le tout avec un goût de l’absurde qui surgit sans crier gare au beau milieu d’une séquence, et ce toujours pour enrichir autant la situation que les caractères. A titre d’exemple, on n’est pas prêt d’oublier le bordel contestataire résultant d’une émeute carcérale – la scène est hilarante au possible.

Clairement aidé par un casting aux petits oignons, allant de Channing Tatum (décidément son acteur fétiche) jusqu’à Daniel Craig (ici dans un contre-pied royal à James Bond), Steven Soderbergh n’en reste pas moins attaché à la mise en scène millimétrée qui a fait sa marque de fabrique, aussi économe en effets de style que sophistiquée dans sa maîtrise des plans fixes. Il fallait d’ailleurs bien ça pour capturer avec autant de finesse et de détails tout le microcosme redneck du coin, entre concours de mini-Miss et course NASCAR. De par sa légèreté et son absence de prétention théorique, "Logan Lucky" n’aura certes jamais de quoi égaler la beauté de "Solaris", la jubilation d’"Ocean’s 11" ou la perversité d’"Effets secondaires". Il prouve au moins – et c’est déjà beaucoup – la faculté assez dingue de Soderbergh à savoir rebondir avec des projets modestes qu’il réussit à tirer vers le haut mieux que personne. C’est dire si, après quatre ans d’absence, son style nous avait manqué.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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