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LES KAÏRA

Un film de Franck Gastambide

Quand la banlieue se moque d'elle-même

Trois jeunes de banlieue, Mousten, Abdelkrim et Momo, des potes d’enfance, découvrent une annonce dans un magazine spécialisé. Ils se rendent alors dans les bureaux d’un studio de films X, espérant eux-mêmes devenir acteurs pornos. Ils auront alors jusqu’au lundi 10 heures pour remettre chacun une sex-tape. Les voici donc face à un problème aux multiples facettes : la plupart d’entre eux sont puceaux, et nous sommes déjà jeudi soir…

« Les Kaïra », comédie française inattendue, est avant tout le portrait de trois personnages attachants, issus de la web-série de Canal Plus, « Kaïra Shopping ». Le passage au grand écran est ici parfaitement réussi, grâce à un scénario béton qui ne se prend jamais au sérieux. Le récit se déroule sur les 4 jours qui séparent nos anti-héros de la fin de leur « période d'essai » pour un producteur porno, chacun devant réussir à baiser avant le lundi, s'il veut livrer sa démo. Et la route de ces glandeurs finis croisera celle de videurs d'une boîte de nuit parisienne, d'une grosse cochonne habitant une campagne plutôt inquiétante, d'un groupe de partouzeurs adeptes de gros engins, d'un ours volé dans un cirque, de fans de rappeurs agressifs lors d'un battle... Jouant avec les codes de la culture de banlieue, le réalisateur compose un univers crédible entre cité et centre commercial, en passant par la boîte ringarde du coin, au doux nom de Pacha, dans laquelle son trio d'enfer réussira à rentrer grâce au portier persuadé d'avoir une célébrité en face de lui : un fameux nain dénommé Passe-Partout...

Le scénario met intelligemment l'accent sur la maladresse de ses héros, principalement vis-à-vis des filles, et décrit du coup quelques portraits attachants. Il y a le blanc timide et naïf. Il y a le beur qui veut « défoncer » tout le monde, mais qui passe son temps dans la salle de bain, faisant chier sa sœur et rejouant devant le miroir des scènes de « Taxi driver » ou « La Haine » au choix... Paradoxe, puisqu'il n'a pas de travail, il pourrait donc éviter d’utiliser la salle de bain quand les autres partent au taf. Ce personnage possède de plus un côté mytho affirmé, mis en évidence par la mise en scène, qui compare intelligemment les fantasmes et réalités dans des flash-backs bien sentis. Enfin il y a le nain obsédé sexuel, dont on suggère en permanence la grosseur du sexe. Le film commence d'ailleurs par un rêve érotique qu'il est en train de faire, et dans lequel il rencontre son idole et fantasme, l'actrice porno Katsuni.

On croit aux dialogues et la plupart des gags fonctionnent. On accepte ainsi la plupart des situations et on se laisse surprendre par les plus ahurissantes, comme celle du mot de passe pour la soirée échangiste (« derrière mon loup je fais ce qui me plaît ») où ils se rendent déguisés en mousquetaires. Le film tape aussi sans complexe sur les clichés des banlieues, avec le caïd du quartier (Ramzy) persuadé qu'il fait du bon rap, mais qui vend ses disques au marché et force violemment des gars à lui en acheter, les femmes en burqa dont l'une se prend un poteau en arrière-plan tellement son voile l'empêche d'y voir clair, ou la drague lourdingue à coup de « vous êtes trop charmante, vous êtes verdoyante » dans le centre commercial. Au final, « Les Kaïra » met notamment en valeur la force d'esprit et l'indépendance des jeunes femmes de banlieue, toujours prêtes à remballer les clichés ambulants. Un peu comme cette comédie rafraîchissante qui tire gentiment sur tout ce qui bouge.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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