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L’INTERVIEW QUI TUE !

Tout ça pour ça ?!?

Dave Skylark est l’animateur quelque peu déjanté d’un talk-show qui bat des records d’audience à grands renforts de scoops inédits. Lui et son producteur Aaron Rapaport sont un jour sollicités par le gouvernement nord-coréen pour interviewer le leader suprême Kim Jong-un, ceci dans le but d’embellir l’image de leur nation. Toutefois, le FBI, conscient de la menace que représente une telle dictature communiste, les charge tous les deux d’une mission : assassiner Kim durant l’interview…

Avec le recul, on était vraiment bêtes. Bêtes de penser qu’une simple comédie américaine ayant failli déclencher à elle toute seule la Troisième Guerre Mondiale puisse forcément être un monument d’humour subversif. Bêtes de croire que Kim Jong-un et sa clique totalitaire aient pu se sentir insultés par un tel film (d’autant qu’ils ne l’ont sans doute jamais vu), alors que le génial "Team America" de Trey Parker, pourtant passé inaperçu à sa sortie en salles, allait mille fois plus loin dans le torpillage anti-Pyongyang. Bêtes de s’imaginer qu’on allait se fracasser les côtes de rire devant une comédie qui, faut-il le rappeler, est avant tout l’œuvre du binôme formé par Seth Rogen et Evan Goldberg. Soit deux mecs très sympathiques, déjà scénaristes d’une poignée de délires salvateurs (dont "SuperGrave" et la brillante adaptation de "The Green Hornet"), mais dont les premiers pas de réalisateurs n’ont rien eu de concluant.

Sans grande surprise, "L’interview qui tue" est la suite logique de ce qui avait été amorcé dans "C’est la fin", soit un gros délire conçu par une joyeuse troupe de gros vanneurs biberonnés au Saturday Night Live et portés au triomphe par la Judd Apatow’s touch, mais qui, à force de trop forcer la connivence vis-à-vis du public, en arrivent à être les seuls à rire de leurs propres conneries. "C’est la fin" avait déjà posé les bases du concept : une idée de départ mortelle (la moitié d’Hollywood jouant son propre rôle au beau milieu d’une apocalypse) pour un résultat bête, terne, sans rythme et ressassant les mêmes ressorts comiques (en particulier une obsession assez étrange pour les gays). Rebelote ici dès l’intro sur un plateau de télé, où l’inattendu Eminem justifie l’agressivité des paroles de ses chansons en avouant au présentateur son homosexualité. Le reste du film ne vole pas plus haut niveau humour : plein de blagues sur les obèses, les margaritas, les nichons, les pénis en érection, les bombes en forme de tube profilé (on vous laisse deviner où et comment Seth Rogen va devoir la cacher…), le cameltoe de Miley Cyrus, ou même la passion cachée de Kim Jong-un pour les chansons de Katy Perry… Poussif, c’est le mot…

On pourra toujours sauver une bagarre à la fois gore et rigolote dans une régie télévisée (avec pas mal de doigts arrachés à coups de dents !), mais sur le terrain de la rigolade, tout tombe un peu à plat, la faute à un vrai manque d’inventivité, à une lourdeur mal canalisée, ou tout simplement à la persistance d’un casting engagé en boucle (et en roue libre) dans une partition comique déjà épuisée. Et là-dessus, face à un Seth Rogen invariable dans son numéro de gros nounours décomplexé et prompt à subir les pires catastrophes, on aurait surtout envie de conseiller à James Franco d’arrêter d’urgence le cocktail alcool-cocaïne : désormais lâché en roue libre dans un numéro ne nécessitant aucune forme de mesure, véritable performeur en grimaces outrancières et excessif dans la moindre intonation de voix, l’acteur porté au sommet d’Hollywood par ses prestations inoubliables dans "127 heures" et "Spring Breakers" en devient proprement insupportable et menace à lui tout seul de couler le film.

Quant au scénario, retraçant la mission de deux showmen chargés par le FBI de tuer le dictateur nord-coréen lors d’une interview, il n’offre que le minimum syndical en terme d’enjeux et de satire : le premier (Rogen) tombe sous le charme d’une directrice de propagande bouillante comme une baraque à frites, le second (Franco) fait ami-ami avec le dictateur avant de découvrir la vérité sur le régime, et les deux se servent au final de l’interview pour révéler aux yeux du monde les mensonges de Kim Jong-un, là encore toujours sur fond de Katy Perry et de répliques militaires (en résumé, un tank contre un hélicoptère). Le verdict est sans appel : tant de bazar politico-médiatique pour si peu de folie subversive se révèle suffisant pour nous encourager à privilégier l’hypothèse d’un buzz calculé. En l’état, ça a fonctionné. Mais pour combien de temps ?

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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