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FEUX ROUGES

Un film de Cédric Kahn

Huis clos aux multiples sensations

Antoine (Jean Pierre Darroussin) attend sa femme Hélène (Carole Bouquet) dans un café parisien. Alors que celle-ci se fait attendre, il s'envoie quelques bières. Tous deux doivent récupérer leurs enfants en colonie de vacances dans le Sud Ouest dès le lendemain. Mais comme il s'agit d'un week end de grands départs, les embouteillages sont là, et Antoine, exaspéré, finit par sortir de l'autoroute…

Après quelques scènes de préparatifs de départ, entre café et appartement, Cédric Kahn décide avec bonheur de nous enfermer dans cette voiture, où deux êtres se déchirent, apparemment sans raisons. Car difficile de comprendre ce qu'Antoine semble reprocher à sa femme. Peut être le fait qu'elle est trop belle pour lui. Peut être qu'il a l'impression qu'elle le trompe, et qu'il trouverait cela presque légitime. Mais si sa paranoïa l'étouffe, Kahn nous la fait ressentir également, au prix de quelques gestes un rien trop affectueux entre collègues entre Hélène et un homme, dans la rue. Et la dispute vire au cauchemar lorsque Antoine s'arrête dans un autre café, et qu'Hélène décide de continuer la route en train.

La grande réussite du réalisateur de L'ennui et de Roberto Succo, est d'avoir su montrer la dangerosité de la route sous influences, au travers de simples plans subjectifs en position de conducteur, d'accélérations intempestives et de plans resserrés sur les visages. Jamais il n'ennui, malgré une caméra qui ne fait que se balader à l'intérieur d'une voiture aussi impersonnelle que vraisemblablement confortable. Dans la première partie, où Hélène est encore là, à force de plan fixe sur le pare brise et les deux personnages, il donne naissance à une somnolence caractéristique des jours de fatigue et de chaleur. Puis, l'irruption d'un mystérieux autostoppeur donne un peu de dynamique à la chose, au fur et à mesure que l'alcool fait son effet. Et le spectateur angoisse, par peur de l'accident, mais aussi de cet inconnu, qui pourrait bien être le fameux évadé que la police recherche.

Chaque barrage des autorités est une souffrance, chaque verre une inquiétude. Mais tout cela est il bien réel. Ne s'agirait-il pas des divagations d'un homme un peu trop imbibé ? La scène, surréaliste des coups de téléphones pour retrouver sa femme, passés depuis un comptoir de bistrot, est assez symbolique du décalage avec la réalité, pas de tonalité, numéro étrangement connus par cœurs, ou retenus à la va vite. Tout cela ressemble à de la brève de comptoir, à moins que ce ne soit l'un des symptômes de la cuite : le temps passe plus vite, et l'on zappe facilement sur certains détails, ou certaines actions, devenues machinales.

Cédric Kahn nous emmène donc dans un mauvais trip, dont il nous fait ressentir le plus fines impressions et les moindres malaises. Et son final, des plus surprenants, est d'autant plus troublant, qu'il légitimerait presque des agissements inexcusables. Difficile d'imaginer cependant que la vie puisse reprendre son cœur normalement par la suite. Et pourtant… Un film à voir, à jeun, et étant soi même déjà fatigué : hypnotique et sombre.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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