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DOLEMITE IS MY NAME

Un film de Craig Brewer

Black phoenix !

Au début des années 1970, Rudy Ray Moore, un chanteur et humoriste afro-américain, essuie les échecs alors que ses rêves sont grandioses, et il doit se satisfaire de petits boulots. Mais il garde espoir : même en partant de rien, il va bien finir par trouver son style puis son public…

Sortie le 25 octobre 2019 sur Netflix

Tentons de pitcher "Dolemite Is My Name" autrement : c’est l’histoire vraie d’un type méconnu et sans expérience cinématographique qui parvient à mettre en œuvre la réalisation d’un film kitsch, lequel devient culte malgré ses nombreux défauts, et le générique de fin montre des extraits du vrai film en question. Présenté comme cela, on pourrait croire que l’on nous sert une version afro-américaine de l’excellent "The Disaster Artist". Mais la comparaison s’arrête là. D’abord parce que le type en question, Rudy Ray Moore, ne s’est pas contenté de ce premier long métrage et il a eu une vraie carrière et une véritable reconnaissance (ce n’est pas le cas de Tommy Wiseau qui a inspiré le film de James Franco). Ensuite parce que le gars en question n’est pas tout à fait parti de rien, puisqu’il a d’abord connu un succès sur les planches et grâce à des enregistrements vinyles. Enfin parce que "Dolemite", le fameux film en question, était volontairement humoristique, alors que "The Room" est drôle malgré lui !

En incarnant cette figure de la blaxploitation, Eddie Murphy signe un retour fracassant et réussi après des années de disette – car soyons francs : depuis le passage au XXIe siècle, heureusement qu’il a été la voix originale de l’Âne dans la franchise "Shrek" pour compenser ses échecs à répétition ! Après une quasi cure loin des plateaux ciné durant les années 2010 ("Dolemite Is My Name" n’est que son quatrième film de la décennie hors doublage de l’Âne), la star des années 80-90 a donc enfin retrouvé une histoire et un personnage dignes de son talent !

Et pas des moindres : si ce Rudy Ray Moore est sans doute un inconnu pour beaucoup de gens de ce côté-ci de l’Atlantique (et peut-être aussi chez les WASP ?), il est un jalon important de la culture afro-américaine, au point d’être également reconnu comme l’un des précurseurs du rap, via ses textes rimés, vulgaires et percutants qui rappellent bien des chansons de ce hip-hop qui est né au même moment que sa propre ascension.

Si la réalisation de Craig Brewer ("Black Snake Moan"…) est assez classique, "Dolemite Is My Name" a le mérite de faire renaître avec délectation ces années 70 symboles de libération des mœurs et des arts, et plus particulièrement cette culture pop afro-américaine qui reflétait l’intense besoin d’affirmation de communautés pouvant enfin vivre sans la ségrégation raciale (du moins était-elle devenue illégale car les faits continuent, aujourd’hui, de faire hoqueter l’Histoire). Ce n’est pas un hasard si "Shaft" (sorti en 1971) est cité à plusieurs reprises dans "Dolemite Is My Name" : ce fut une des premières réussites d’ampleur d’un cinéma ouvertement faits par et pour les Noirs.

On pourrait avoir une analyse pessimiste de "Dolemite Is My Name" : si un tel film est fait en 2019, c’est parce que le chemin est encore très long vers la coexistence entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis (et même ailleurs). En opposant explicitement les cultures des Blancs et des Noirs, le film semble dire qu’il n’y a toujours pas de compréhension mutuelle et que les références et mœurs des uns et des autres restent très distinctes. Deux scènes en attestent particulièrement : dans la première, Rudy Ray Moore (Eddie Murphy) assiste à une projection de "Spéciale Première" de Billy Wilder et constate que le public blanc est hilare alors que lui et ses potes restent de marbre ; plus tard, Lady Reed (Da'Vine Joy Randolph), comédienne afro-américaine et très ronde, remercie Rudy de lui avoir offert un rôle car les « femmes comme elles » n’avaient jamais personne à qui s’identifier sur grand écran. Vu de manière optimiste, ce film est positif dans le sens où il s’ajoute aux œuvres permettant aux minorités d’être fières de leurs identités. Il montre également que les vulgarités des rappeurs ou d’humoristes comme Rudy Ray Moore peuvent finalement être considérées comme des exutoires face aux discriminations, des cris de ralliement pour contrecarrer le mépris des autres, ou encore une forme d’expression à fonction cathartique.

Si "Dolemite Is My Name" est un succès, c’est en fait parce qu’il permet trois grilles de lecture superposée. Il parle donc des années 70 tout en faisant écho aux luttes de notre époque, mais il évoque également le cas particulier d’Eddie Murphy, qui trouve en Rudy Ray Moore un alter ego cherchant au fond de lui les moyens de revenir ou rester au premier plan malgré les échecs et les obstacles. Espérons pour Eddie Murphy que la décennie 2020 lui soit donc plus favorable que les deux précédentes. Le premier pavé de ce nouveau chemin est posé – et jeté dans la mare par la même occasion !

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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