Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

BONNE CONDUITE

Un film de Jonathan Barré

Tous les points sur le permis, tous les coups sont permis !

Traumatisée par la mort tragique de son compagnon dans un accident de la route causé par un chauffard, Pauline a quitté son métier de psychologue pour diriger des stages de prévention routière dans des centres de récupération de points. Ceci du moins en journée, car la nuit, elle pilote une voiture de course surpuissante afin d’éliminer les chauffards telle une serial-killeuse. Mais un jour, tout ne se passe pas comme prévu avec sa nouvelle cible…

Bonne Conduite film affiche

On l’avoue d’entrée et sans la moindre honte : imaginer la déesse Laure Calamy (dont on est toujours plus fan d’un film à l’autre !) jouer la serial-killeuse badass, avec cagoule et gants de cuir comme chez Dario Argento, qui massacre des chauffards au volant d’une magnifique Subaru Impreza, le tout dans des cadres relookés au néon et épicés par un score carpenterien en diable, c’était déjà trop bandant pour être vrai ! Les premières scènes de "Bonne conduite" nous laissent bouche bée, formant une sorte de note d’intention du projet : quand bien même l’action se passe au Finistère, la démarche de Jonathan Barré semble avoir été d’opérer un geste syncrétique hors du commun dans la comédie française, finalement pas si éloigné de ce qui faisait la force de "La Folle Histoire de Max et Léon". Soit une comédie à teneur populaire qui n’hésite pas à pratiquer l’art du sampling, mélangeant tant de tons à la minute et de genres à chaque raccord de plan qu’il devient presque impossible de l’étiqueter clairement. D’aucuns iront jusqu’à y voir une faiblesse au vu d’un film qui serait potentiellement privé d’une réelle identité à force de zieuter à droite et à gauche. Mais en l’état, au vu d’une narration fluide et sans bout de gras qui fonce pied au plancher tout en rendant sa trame parfaitement cohérente, on saluera le geste au sein d’une industrie comique française qui, depuis quelques temps, retrouve un peu du poil de la bête à force de tordre ses ficelles les plus classiques.

Ici, c’est bien simple : Jonathan se la joue Barré au plus haut point, n’hésitant jamais à juxtaposer une séquence de filature esthétisante en mode giallo (la beauté des cadres et des jeux de lumière laisse béat d’admiration) avec un simple champ/contrechamp dans un bureau, puis à vriller sans crier gare dans le revenge-movie jouissif, pour ensuite subitement passer à du drame intimiste poignant qui tangue sensiblement vers le non-sens loufoque (joli ressort comique de l’héroïne qui entame un dialogue imaginaire dans chaque pièce de sa maison avec les photos de son compagnon décédé !). Et comme le bonhomme a pris soin de ramener ses potes du Palmashow (David Marsais et Grégoire Ludig, ici dans la peau d’un duo de flics benêts si irrésistibles qu’ils mériteraient clairement leur propre spin-off !), le délire monte ici très haut. On a beau être familier de l’humour du Palmashow et de la mise en scène minutieuse de leurs sketchs, Barré s’efface ici beaucoup moins derrière ce tempo duquel on est désormais trop familier – on se souvient que la semi-déception des "Vedettes" tenait surtout à un filmage et à une narration trop sujets à la facilité. C’est surtout qu’ici, en optant pour un maelström de genres codifiés et en laissant à ses deux potes le soin de jouer les parasites décalés en arrière-plan du personnage interprété par Laure Calamy, Barré a les coudées franches pour oser des ruptures de ton plus inhabituelles, pour ne pas dire carrément imprévisibles. Et comme il est ici question d’un « zapping » de tons et de genres, il en profite aussi pour convoquer sa propre cinéphilie (dont "Seven", "Usual Suspects" et "Les Oiseaux") et l’intégrer efficacement à la narration, que ce soit pour jouer la carte du clin d’œil ironique ou pour amplifier le relief symbolique d’une scène.

Ce qui ressort de tout ça est triple : une comédie hilarante qui décape, un polar breton qui surprend, un thriller grinçant qui glace. Sans surprise, on doit aussi en partie ce charivari de sensations joyeusement contradictoires à Laure Calamy, dont le talent suprême pour mêler le premier degré et la maladresse naïve mériterait un abonnement à vie aux Césars. Grâce à elle, la drôlerie des situations se teinte d’un vrai malaise et d’une vraie tension, et le film ne cesse de brouiller la frontière entre compassion et méfiance. Et pas seulement pour elle : que ce soit du côté des figures sympathiques (dont Thomas VDB et l’épatante Sixtine Aupetit) ou des antagonistes (dont un Tchéky Karyo en très grande forme), tout le monde devient sujet au doute parce que pion d’une intrigue qui n’arrête pas de changer ses propres règles et de dévoiler le jeu caché de chacun. Le cadre naturel et pittoresque du Finistère n’est d’ailleurs même pas traité façon reportage terroir pour le 13 heures de TF1, mais au contraire à des fins de décalage, tant les ingrédients singuliers qui peuplent le film ont tôt fait de revisiter le décor régional en une cour d’école décalée, peuplée de naïfs qui s’imaginent eux-mêmes dans un film et qui y puisent leur schéma interne (d’où les références). On n’est pas si loin du cinéma des frères Coen, au fond. Et c’est bien là le plus beau compliment que l’on puisse adresser à ce film-ovni qui sait (s’)amuser et qui porte très bien son titre.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire