L'ASSASSINAT DE JESSE JAMES PAR LE LACHE ROBERT FORD

Un film de Andrew Dominik
 

POUR:Quand la légende est plus forte

Célèbre famille de bandits de grand chemin, le clan James accueille en son sein un admirateur, Robert Ford, garçon complexé et maladroit. Mais après l'attaque d'un train, le gouverneur décide de traquer sans relâche le clan, obligé de séparer et de fuir...

Il faut prendre son souffle pour profiter pleinement de "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford". Comme si vous deviez franchir un très long bassin en apnée, lâchant doucement l'air qu'emprisonnent vos poumons le temps de la traversée. "L'assassinat de Jesse James" n'est pas un film de plus, mettant en scène des pantins, multipliant les scènes d'action et les règlements de comptes à OK Corral. Au contraire, Andrew Dominik prend son temps pour mieux appréhender ses personnages, mieux les cerner de l'intérieur.

Ce film fait immédiatement penser à quelques glorieux prédécesseurs. A "John McCabbe" tout d'abord, une histoire que Robert Altman étirait le long de paysages enneigés, sur une musique de Leonard Cohen. On retrouve ici la même lenteur, les mêmes paysages froids et une musique toute aussi formidable signée Nick Cave. A "Pat Garrett & Billy le Kid" ensuite : le personnage de Bob Ford, sans doute de prime abord à cause du chapeau qui ne le quitte pas, ressemble énormément au troubadour joué par Bob Dylan dans le film de Peckinpah, lui-même sans doute inspiré par Hurd Hatfield dans "Le gaucher" d'Arthur Penn. Dans ces trois westerns, il s'agit d'un jeune blanc bec, une sorte de pied-tendre violent qui colle aux basques d'un bandit de l'Ouest, ici Billy le Kid, là Jesse James.

Ce n'est pas un hasard si ce "Jesse James" fait penser aux westerns produits dans les années 70, une époque où l'Amérique prenait conscience des torts qu'elle avait fait subir aux Indiens, ce que venait lui rappeler le conflit vietnamien contemporain. Les massacres perpétrés par les tuniques bleues, tels que montrés dans "Soldat bleu" (1970, Ralph Nelson) ou "Little Big Man" (1971, Arthur Penn), se retrouvaient en écho avec les images diffusées à longueur de temps par les chaînes de télévision. My Laï et les photos de femmes et d'enfants vietnamiens trucidés par l'armée américaine étaient dans toutes les mémoires. La violence originelle dont s'enorgueillissaient les Etats-Unis et ses héros musclés devenait suspecte. Aujourd'hui, alors qu'une autre guerre sur un territoire étranger est fortement désapprouvée par une grande majorité de l'opinion publique, les grands mythes fondateurs peuvent recommencer à être déboulonnés.

Emergeant dans les années 60 avec les films de Sam Peckinpah, un véritable travail de sape de la grande saga de l'Ouest américain s'est développé, en gros jusqu'au moment du Watergate. Billy le Kid, Custer, Buffalo Bill en prennent pour leur grade, leur dimension mythique se rétrécissant pour les rapprocher des pauvres humains que nous sommes. Le "Jesse James" à qui Brad Pitt donne chair est leur petit frère. Plutôt qu'un énième Robin des Bois, il est décrit comme un paranoiaque inquiétant. Une tension naît chaque fois que Jesse approche un de ses compagnons et Andrew Dominik décrit parfaitement les soupçons mutuels créés par chacun des gestes des hors-la-loi.

La force de "L'assassinat de Jesse James", c'est que Robert Ford va prendre peu à peu le pas sur Jesse James, pourtant incarné par Brad Pitt. Et qu'on ne sait jamais ce que recherche exactement ce type ambigu, superbement joué par Casey Affleck, le petit frère de Ben. Aux côtés des deux acteurs, on remarquera également la performance de Sam Rockwell dans le rôle de Charley Ford, le frère de l'assassin de Jesse James.

Le film a également un autre intérêt : le moment donné par le titre, « l'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », est une scène clef, certes, mais le scénario se poursuit bien après ce moment. L'après-assassinat cristallise la légende en train de naître. James reprend sa stature de héros, Ford acquiert celle de salopard. Un autre Ford, John de son prénom et cinéaste de son état, disait que "quand la légende est plus belle que la vérité, imprimez la légende". Ici, Dominik veut détruire la légende et montrer la vérité mais la première, il le prouve, sera toujours plus forte.

Jean-Charles LemeunierEnvoyer un message au rédacteur

L'atout principal du second film de Andrew Dominik, auteur de « Chopper », est certainement la qualité de sa photographie, particulièrement soignée, qui fait virée ce western crépusculaire au film contemplatif. Relatant la fin d'un clan, celui de Jesse James et de son frère, ce portrait de groupe s'avère finalement bien peu passionnant. Mis en scène du point de vue des fuyards, cette lente épopée, faite de paranoïa grandissante et de trahisons potentielles, dépeint une série d'individualités qui vont peu à peu se dresser les unes contre les autres. Alors que les poursuivants, eux, ne sont que des ombres traversant furtivement l'image, comme ces quelques silhouettes noires descendant une colline, dans l'un des beaux plans du film.

Brad Pitt, en tête d'affiche, et primé à Venise, s'en sort honorablement, donnant dans un apparent détachement salutaire, sans pour autant inquiéter, tandis que l'interprète de Robert Ford, son assassin, Casey Affleck, d'abord schématique, étoffe peu à peu son personnage un peu trop douteux. Esthétisant, comme lors de l'attaque d'un train de nuit, réduit aux lignes verticales d'une forêt de troncs, rendus presque mouvants par une brume traversée de la lampe frontale du train, le film n'en livre pas moins une troublante réflexion sur les rapports du peuple à ses icônes et à la légende. Reste que le message sur l'héroïsme, la justice et la célébrité paraît au final un peu douteux, tout en conférant au réalisme. N'est pas un héros qui veut.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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