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Cannes 2016

Cannes 2016 - Bilan : En quête de chair fraiche

Bien sûr les films du Festival de Cannes 2016 auront finalement eu une dominante sociale et politique comme c’est un peu l’habitude, avec le Dardenne, le Ken Loach (Palme d’or), le Mungiu, le Mendoza, ou les films consacrés à la banlieue de la Quinzaine des réalisateurs (l’épatant « Divines » et le très moyen « Tour de France« …). Pourtant nous aurons eu droit cette année à un Festival riche en films de genre, entre films de vampires, de cannibales, de zombies, films policiers ou noirs, films de boxe (« Hands of stone« , ou « The happiest day in the life of Olli Mäki » qui a reçu le Prix Un certain regard). Et il va sans dire que la présence de formidables films d’animation, avec le très touchant « Ma vie de courgette » et le sublime et poétique « La tortue rouge » fut la cerise sur le gâteau.Reste que si tout était prétexte à faire couler le sang, les autres thématiques particulièrement mises en avant en cette édition 2016 furent la culpabilité et le rôle trouble de la figure du père. Sans parler de la richesse des rôles féminins, nombreux et de qualité, avec en tète, Isabelle Huppert, Marion Cotillard, Sonia Braga… Retour sur cette édition riche en surprises et révélations.

Au Festival de Cannes 2016, tout était cette année prétexte à faire couler le sang. Entre pulsions cannibales irrépressibles, mystérieux morts vivants coureurs d'hommes, et vampires version moderne, les assoiffés de sang étaient nombreux à figurer au générique des films présentés.

La part belle aux cannibales

ATTENTION Spoilers

Dans le film de la Semaine de la critique, "Grave", une jeune femme végétarienne intégrant le cursus de vétérinaire, se voit contrainte, lors du bizutage, de manger un foie cru de lapin et découvre dès lors d'impressionnantes pulsions la poussant à manger de la viande crue. Un récit troublant, au montage accentuant la frontalité d'actes que la société réprouve, qui nous livre quelques impressionnantes scènes (celle du poulet cru dans le frigo reste étonnamment en mémoire) et qui joue sur la relation ambiguë entre deux sœur, dans un jeu de domination et d'émancipation perturbant. Un film qui dispose d'un final particulièrement cynique et bien vu, tout en interrogeant la nature de l'amour et jusqu'où peut vous pousser la passion.

Côté compétition, deux films abordaient également le cannibalisme, sous deux angles très différents. La comédie déjantée de Bruno Dumont, "Ma loute" tirait à la fois le portrait de famille de bourgeois tous plus dégénérés les uns que les autres, s'adonnant à une certaine forme d'oisiveté dans les paysages dunaires du nord, alors que certaines personnes disparaissaient mystérieusement. Sous forme d'enquête absurde menée par un commissaire aux allures de bibendum, cette comédie aux personnages tordus, véritable plaisir d'acteurs, mettait aussi en scène des pauvres se régalant de leurs victimes. Un film réjouissant de cynique, usant à merveille du comique de répétition. "The Neon Demon", expérience plastique et sensorielle signée Nicolas Winding Refn réussissait à séduire par son approche de l'univers de la mode, questionnant la puissance de la beauté. Un facteur déclencheur de rivalités et de jalousie, interpellant chacun au fond de lui sur cette perfection que certains seraient tentés ici, au sens propre comme au figuré, de s'accaparer en l'ingérant. Un film troublant, à la mise en scène choc mais somptueuse.

Si Steven Spielberg, avec son conte "Le bon gros géant", n'a pas vraiment emballé les foules, il y était pourtant aussi question de mangeurs de chaire humaine. Face à un groupe de géants, dont les sens furent réveillés par la proximité de celle-ci, une petite fille y réussit à faire de celui qui l'a enlevée, son protecteur. Inégal, le film vaut moins pour ses effets spéciaux que pour sa dernière partie, au palais de la Reine, plus portée sur un humour qui séduira les plus petits.

Zombieland

Deux films hors compétition ont cette année fait la part belle à nos ennemis zombies, donnant pour l'un dans la surenchère, pur l'autre dans une étonnante sobriété.

Le film coréen "Train to Busan" a donné lieu à l'une des plus réjouissantes séances de minuit de ces dernières années. Classique sur le fond, ne cherchant pas à expliquer l'apparition des premiers zombies, ni les modes de transmission, le scénario se concentre sur une fuite face au danger, mettant en scène un groupe de passagers d'un train. Pris au piège dans cette machine dont on ne sait progressivement quel wagon est sain ou infecté, deux groupes de personnes tentent de survivre, à chaque arrêt comme entre chaque étape. Et le réalisateur joue avec nos nerfs, utilise à merveille l'exiguïté des lieux, créant effets de surprises et sursauts, tout en maniant un humour bien corrosif. Flippant et jouissif.

Plus sage, le japonais "Goksung" ("The strangers"), se présente sous forme d'une enquête sordide autour de meurtres de villageois, qui s'oriente vers un vieil ermite étrange récemment installé à proximité, mais qui va vite dévier sur le film de zombies. A la frontière entre le réel et le surnaturel, ce long-métrage poisseux et anxiogène de près de 2h30 ose tout, même l'affrontement à distance entre deux puissances opposées, lors d'une scène épuisante d'exorcisme. Une œuvre réalisée avec une précision chirurgicale, allant crescendo dans la tension, le mystère, et les retournements de situation.

S'éloigner du vampire

"Transfiguration", sélectionné à Un certain regard, cherchait à traiter du mythe des vampires avec originalité, ceci en choisissant une option radicale : partir d'un film social, plongé dans un ghetto noir-américain, dans lequel un enfant est torturé par le souvenir du suicide de sa mère. Loin du traditionnel film de vampires (ici pas de dents pointues ou de peur du soleil...), le film oscille entre réalisme et onirisme, faisant place aux explosions de violence commises par ce bambin à l’air si inoffensif, qui souhaite devenir lui-même une de ces créatures qu'il a vu dans ses films préférés. Belle parabole sur le besoin de l'autre, pour éviter de sombrer, le film surprend en permanence.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur