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Cannes 2016

Cannes 2016 - Bilan : Culpabilite a tous les etages

S'il est bien un thème qui a dominé la plupart des films du Festival de Cannes 2016, c'est celui de la culpabilité.

Avec "La fille inconnue", les frères Dardenne ont fait de la culpabilité non seulement le point de départ de l'intrigue, avec une jeune médecin refusant d'ouvrir à une patiente sonnant après l'heure de fin de consultation, et confrontée le lendemain à la nouvelle de son décès. Au lieu de partir du côté des « Et si », comme ont pu le faire nombre de scénarios par le passé, ils ont malheureusement choisi de lancer leur personnage (Adèle Haenel, excellente), dans une enquête improvisée qui ne s'embarrasse pas de crédibilité. Tentant une nouvelle fois de faire culpabiliser le spectateur lui-même, assis dans un siège trop confortable, c'est l'absence de légitimité de l'égoïsme qui est ici visée dans un scénario balisé à l'extrême où chaque rencontre à son importance.

Dans "Money monster" signé Jodie Foster, présenté hors compétition, on assiste a la prise de conscience d'un magna de la bourse reconverti en animateur télé, de la valeur de sa propre parole et des conséquences de ses conseils. Devenant soudain l'appui d'un jeune homme désespéré, poussé à bout, le film installe un certain suspense, même s'il faut bien l'avouer, la scène de descente dans la rue, pour forcer le vrai responsable à répondre de ses actes (par une interview improvisée) n'est pas crédible une seule seconde. Entre foule alentour, bombe sur le torse, et retournements de veste, le capitalisme coupable se mêle à la frénésie médiatique et à l'avidité du public.

Côté Quinzaine des réalisateurs, Marco Bellocchio nous plongeait avec "Fais de beaux rêves" dans les affres d’un homme tentant de surmonter la détresse d’avoir perdu sa mère lorsqu'il était enfant. S'il s'agit là d'une réelle tragédie humaine, enfouie sous une accumulation de non-dits, la mise en scène, froide et trop centrée sur le visage déconfit de Valerio Mastrandrea, ne réussit pas à sortir de la dépression du personnage (coupable à la fois de n'avoir pu sauver sa mère et de n'avoir pas saisi sa détresse au moment fatal) pour évoquer une réelle issue.

"Captain fantastic", film américain présenté à Un certain regard décrivait la culpabilité d'un père bloqué dans ses préceptes et tellement soucieux d'inculquer des valeurs à ses enfants, qu'il n'en saisit pas les conséquence de l'isolement qu'il leur impose. Centré au début sur les difficultés à vivre hors du monde et sur la maladie de la femme, hospitalisée, le scénario se concentre ensuite sur l'inadaptation des enfants au monde réel et l'évolution du personnage du père (Viggo Mortensen, épatant) confronté aux aspirations de vie de sa progéniture.

Présenté en compétition et reparti avec le Grand Prix du jury, "Juste la fin du monde" de Xavier Dolan relate une réunion de famille, à l'occasion du retour de l'un des fils, qui ne les a pas vus depuis plus de dix ans. Chacun y va ici de sa propre culpabilité, dans un ballet de gros plans qui captent les souffrances que chacun a enfin l'occasion d'exprimer, face à ce monstre d'égoïsme venu expier l'isolement qu'il s'est imposé, pour pouvoir vivre enfin sa vie. Hystérique au niveau du ton, le film n'en revêt pas moins un intérêt dans les différences manières de vivre rancoeur et culpabilité qu'ont les personnages, et dans la description des liens qui subsistent, malgré le temps et la souffrance.

C'est aussi au sentiment de culpabilité que les personnages de "Baccalauréat" vont avoir à faire face, alors qu'un père essaye par tous les moyens de faire obtenir le Bac à sa fille, alors qu'elle a été agressée la veille des épreuves. Démontant les systèmes de la corruption organisée à la corruption ordinaire, le roumain Cristian Mungiu décrit la descente aux enfers d'un personnage qui perd tout, petit à petit (réputation, femme, fille, boulot, santé...). La phrase finale de la jeune fille enfonce le clou, mais délivre au moins un message sur l'honnêteté qui peut parfois payer... Mais est-ce le cas si souvent ?

Terminons par un autre candidat à la Palme d'or, "Le client", film iranien d'Asghar Farhadi, prenant le point de vue du sentiment de culpabilité ressenti par la victime. La femme, agressée dans son nouvel appartement, sait quel poids elle peut faire porter sur les épaules de son agresseur et choisit étrangement de se taire. Mais l'enquête avance et le film développe un scénario implacable, qui tourne finalement plus autour du rôle du mari (récompensé d'ailleurs du prix d'interprétation masculine pour Shahab Hosseini) dont l'instinct de protection se mue peu à peu en désir de vengeance.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur