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Cannes 2014 - Retour thématique sur la 67e édition : Queer Palm, concept en devenir

Comme chaque année au Festival de Cannes, la Queer palm fait parler d'elle. Certes pas autant que ses équivalent berlinois (les Teddy awards) ou vénétien (le Queer lion), car le prix a du mal à repérer à l'avance les films de thématique LGBT dans une sélection très vaste, qui contrairement à Berlin, ne réserve pas une place spécialement privilégiée à ce genre de film. Une position à regretter ? Pas forcément, car Cannes défend avant tout le cinéma, avant même le sujet des films, et qu'il faut bien avouer que la qualité n'est pas toujours au rendez-vous (Berlin et ses 35 films gays le prouvent malheureusement chaque année).

Pour cette nouvelle édition, la Queer Palm s'est offert un président de jury de choix, en la personne de Bruce LaBruce, réalisateur récemment auteur de « Gerontophilia ». Accompagné dans sa tâche par Anna Margarita Albelo, réalisatrice, Joao Ferreira, directeur artistique et programmateur du festival Queer Lisboa, Charlotte Lipinska, journaliste et Ricky Mastro, réalisateur, il aura couronné cette année l'excellent « Pride », comédie dramatique anglaise dans la lignée de « Full monty » ou « Les géants », et décerné une mention spéciale à « Party Girl », un choix lié à la volonté d'être bel et bien un prix du cinéma « LGBT et décalé ». Retour sur cette édition 2014, avec notamment quelques paroles de son président, Franck Finance Madureira.De la volonté de faire bouger les lignes du genre

Beaucoup auront été surpris en feuilletant la brochure de la Queer Palm, et d'autant plus après avoir vu les films, de découvrir dans la sélection, élargie progressivement durant le festival, notamment à « Foxcatcher » ou « Incompresa », des films comme « Party girl » ou « Bande de filles », qui ne traitent nullement d'homosexualité.

Mais comme l'explique son créateur, les films en lice pour la Queer Palm font l'objet d' "une présélection qui n'est qu'indicative" et issue du dialogue avec les distributeurs. Mais "les films ne sont pas vus avant". Cela fait notamment qu'une fois les films visionnés, on se demande ce que viennent faire en sélection « Les Combattants », ou « Mommy » de Xavier Dolan, dont le personnage principal pourrait bien être homosexuel ou pas, et à vrai dire qu'importe.

Dans le cas de "Mommy " il s'agissait en effet de traiter du contact et de l'amour filial, des difficultés de communication, et surtout du besoin d'espoir, et le fait que son réalisateur soit gay n'en fait nullement un film sur le « genre ».De la mise en valeur des personnalités et des modes de vie en marge

Franck Finance-Madureira rappelle à cette occasion que "la définition de Queer est beaucoup plus large que celle de LGBT (Lesbien, Gay, Bi et Trans)". Dans le jury de la Queer palm, "tout ce qui casse le code des genres les intéressent", tout ce qui "permet à un cinéma de la marge d'exister". Il indique aussi que "dans la base-line française il y a le terme de "décalé" ", et qu'à ce titre, un film comme "Tournée" de Mathieu Amalric en 2010, "la première année à failli remporter le prix, grâce à ces actrices du burlesque, composant des personnages de femmes hors normes".

Le cas de "Les combattants" entre donc pleinement dans cette deuxième catégorie, avec le personnage interprété par Adèle Haenel, jeune fille très garçonne qui se découvre un côté doux face à un garçon maladroit. Le même questionnement initial est ainsi levé pour « Party Girl » et « Bande filles » de Céline Sciamma. En décrivant pour le premier une femme libre, qui a vécu la nuit dans un parcours en marge toute sa vie, non soumise à l'homme ou au rôle de future épouse qu'on veut lui donner, et pour le second, des filles se comportant comme des garçons, les deux oeuvres font en effet bouger les lignes de la définition des personnalités par rapport au genre.Un mariage pour tous à double tranchant

Lorsqu'on lui pose la question d'un éventuel changement d'état d'esprit suite aux débats de l'an dernier, et la coïncidence de l'énorme manif pour tous et de la remise de la palme d'or à "La vie d'Adèle", Franck Finance-Madureira répond "qu'il y a toujours eu un accueil très favorable dès la première année des différentes sections" envers la Queer palm. "Tous les sélectionneurs connaissent les Teddy Awards". Mais il s'agit en effet d'une année charnière l'an dernier, mais à double tranchant. "Le cinéma est toujours du côté de la liberté et de la parole ouverte", avec des films justement comme la Queer Palm 2013 "L'inconnu du lac" et "La vie d'Adèle", mais les débats enflammés n'ont pas aidé à trouver des sponsors et les grosses marques qui s'affichent partout restent frileuses, et prétendent que le public n'est pas prêt". Lui se demande du coup "quand il sera prêt" selon elles.

L'homme a en tous cas plein d'idée, et notamment le projet d'organiser un marché du film Queer à partir de 2015, événement qui a été ébauche cette année avec une première réunion d'une soixantaine de représentant de la profession, distributeurs, sélectionneurs de festivals LGBT ou producteurs. A suivre donc.Un petit tour des principaux films Queer de cette année 2014

Du côté de la Semaine de la critique, « When animals dream » a fait sensation en contant le quotidien d'une jeune femme découvrant sa propre nature, dans une sorte de film initiatique de vampire. Mise au banc d'une petite communauté de pêcheurs, celle qui, comme sa mère, présente des pulsions "hors normes" ne pourra qu'affirmer sa nature.

Bien entendu, le « Saint Laurent » de Bertrand Bonello était l'un des événements de la compétition. Décrivant la relation houleuse entre le célèbre couturier et son partenaire Pierre Berger, le film de Bertrand Bonello, contrairement au Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, s'intéresse bien plus au talent créatif de l'artiste, et limite la période de vie examinée.

« Sils Maria » a créé la surprise avec un épatant et trouble duo alliant Juliette Binoche et Kristen Stewart ("Twilight") dans une réflexion sur la création et le deuil. Décrivant la relation de proximité entre une actrice et son assistante qui finira par
s'émanciper, le film revêt un côté nostalgique et émeut sans détour.

« Pride » de Matthew Warchus, film de clôture de la Quinzaine des réalisateurs a bien mérité son prix. Montrant un groupe d'activistes homosexuels, cherchant à aider les mineurs en grève en leur apportant le fruit de leur quête, il est aussi l'occasion de casser le préjugés en tissant un vrai. Une comédie anglaise à la "Full Monty", efficace et touchante.

« Whiplash » et « Foxcatcher » relèvent quant à eux de la même logique, avec deux histoires de domination et d'influence d'un homme sur un autre. Si le premier se situe dans le milieu du dur apprentissage de la musique, et n'a pas vraiment de tension sexuelle sous-jacente, le second la développe de manière ténue, entre un riche homme d'affaire s'improvisant entraîneur de lutte, et un jeune champion influençable. Le duo Steve Carrell et Channing Tatum est particulièrement efficace.

« Xenia », film grec, a lui emporté l'adhésion du public avec l'histoire de deux frères d'origine albanaise, partant à la recherche de leur père, grec. Un récit sur l'état du pays, la crise, la montée de la xénophobie, mâtiné d'un humour très gay et d'une certaine fantaisie autour de l'homosexualité du plus jeune (la pelouse qui se transforme en torse velu, les visions délirantes autour du lapin domestique...).

« Più buio di mezzanotte » (« Darker than midnight ») aura été le seul film transsexuel de cette édition 2014, offrant à la Semaine de la critique une œuvre mêlant souffrance et émotion.

Quant au coréen « A girl at my door » il aura amené le public d'Un certain regard à découvrir l'union de deux solitudes, celle d'une policière arrivant dans un village retiré, et d'une écolière battue par son père. Une jolie histoire sur le soupçon, la rumeur, portée par deux actrices formidables.

Informations

Un palmarès et quelques images de la Queer Palm 2014

Queer Palm 2014
PRIDE de Matthew Warchus

Mentions spéciales 2014 :
PARTY GIRL de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis
BANDES DE FILLES de Céline Sciamma

Au final Franck Finance-Madureira retiendra pour sa part quelques images marquantes de cette cuvée 2014. Une image glamour, avec "la superbe photo en montée des marches pour "Saint Laurent" du jury de la Queer Palm présidé par Bruce LaBruce". Une image LGBT avec la conversation passionnante qu'il a pu avoir avec le réalisateur de "Xenia", Panos Koutras. Et enfin une image décalée, celle d'Angélique, l'hôtesse de bar de "Party girl", dont tous sont tombés amoureux.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur