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INTERVIEW

LE TEMPS D'AIMER

Katell Quillévéré, Gilles Taurand et Vincent Lacoste

réalisatrice et co-scénariste, co-scénariste et acteur

C’est dans l’un des salons, sur la mezzanine de l’hôtel Sofitel de Lyon, que nous avons eu la chance de rencontrer les scénaristes d’un film repéré il y a six mois à Cannes Première, « Le Temps d’aimer« . Gilles Taurand et Katell Quillévéré, également à la réalisation, étaient accompagnés de l’acteur principal, Vincent Lacoste. Un moment privilégié, quelques jours à peine avant la sortie du film.

Entretien Interview Rencontre
© Gaumont Distribution

Le mode d'écriture à deux, par navette

Journaliste :
Comment est-ce qu'on écrit à deux une telle histoire ?

Gilles Taurand :
Il y a une méthode très simple, qui s'appelle la navette. Qui fait que on passe d'une scène écrite par l'un, à une scène relue et réécrite par l'autre, et ainsi de suite. C'est une très bonne façon de s'apprivoiser - mais on se connaissait déjà - et puis d'apporter chacun des idées supplémentaires, et d'essayer de faire une sorte de mix final. Mais ça implique quand même un certain nombre de versions. Il y en a eu beaucoup. Il y a eu beaucoup de changements et je pense que c'est aussi ça écrire : c'est être capable de s'adapter à toutes les modifications, qui peuvent parvenir à un moment ou à un autre. Donc navette... mais avec d'autres réalisateurs, dont un certain Téchiné, c'était plutôt façon Dupond et Dupont, devant un ordinateur. L'un commence une phrase et l'autre la terminant, mais ça, c'est très rare.

Une histoire familiale à l’origine de l’envie du film

Journaliste :
Et qui était à l'origine de la navette ? Qui était le premier ?

G.T. :
C'est Katell.

Katell Quillévéré :
J'apporte l'idée de départ. En l'occurrence, c'est une idée qui s'inspire d'un vécu, d'une histoire familiale, la mienne. C'est celle de ma grand-mère, en fait. Ma grand-mère a eu une histoire avec un soldat allemand, pendant l'occupation. Elle était très jeune et c'était sa toute première rencontre. Et elle est tombée enceinte de ce soldat. Donc, sa vie a basculé comme Madeleine dans le film. Elle est passée d'adolescente à mère célibataire, avec un bébé de l'ennemi. Donc autant dire que c'était un bannissement pour l'époque.

Elle a fait la connaissance de mon grand-père sur une plage comme ça, quatre ans plus tard, en Bretagne. Et ce jeune homme qui était d'un milieu social plus aisé, l'a épousée, et il a adopté cet enfant, malgré l'opposition de sa famille. Ils ont fait famille ensemble comme ça, tous les trois. Ils ont eu d'autres enfants après, dont mon père. Et puis ils ont gardé secret, en fait toute leur vie, sur la vraie paternité de ce premier enfant.

Et cette histoire-là, je la porte du coup, moi, depuis très longtemps, puisque j'avais raconté cette histoire à Gilles, dès que je l'ai su en fait. Et ce qui nous plaisait dans cette histoire à tous les deux, ce qui a été le moteur un peu de notre désir de fiction commun, c'était cette idée du couple. Un couple comme ça, un peu mystérieux... parce que ce sont deux personnes qui ne devraient pas se rencontrer dans la vie, qui ne sont pas du même milieu. Elle, on comprend très vite ce qu'elle est, ce qu'elle fuit et quel est son intérêt à se jeter dans ce couple. Mais lui par contre c'est plus étonnant, plus mystérieux. Et c'est autour de ce mystère là qu'on a commencé à broder à fictionner, à inventer le secret de François et le moteur de leur duo.

Et après, en effet, ça a été un travail de ping-pong pendant, pendant plusieurs années en fait, au point qu'aujourd'hui on ne peut pas vous dire à qui appartient une idée ou une autre. Il y a aussi toute une matière de vécu qui vient de Gilles. Il n'y a pas que mon histoire personnelle à moi, il y a plein de choses, d'histoires de vie de Gilles. Et puis, il y a aussi, en effet, plein de contraintes quand on écrit un scénario, qui sont liées au fait de pouvoir financer ou pas un film. Ce qui est particulier dans ce projet, c'est que c'est quand même un film exigeant, mais en même temps populaire. Un film qui a vraiment vocation à rencontrer le public, mais typiquement un film qui n'est pas simple à financer. Car il faut de l'argent pour reconstituer les années cinquante, soixante, et en même temps on n'est pas sur une grosse comédie ou un film très commercial.

Donc on attend vite les plafonds de financement. Au départ l'histoire qu'on avait écrite Gilles et moi, elle faisait presque trois heures et demie. Il y avait une première partie, où on voyait vraiment cette jeune fille dans le village où elle vivait. On comprenait vraiment d'où elle venait. On la voyait faire cette première rencontre avec ce soldat. Puis il y avait toute une autre partie à la fin, où on voyait ce Daniel partir en Allemagne chercher son père. Donc voilà ce film-là, il n'était vraiment pas finançable du tout. C'est vrai qu'il y a eu un très gros travail pour nous... ça a été de prélever et d'arriver à un film qui puisse se faire.

Une première version difficilement finançable

Journaliste :
Il le trouvait ou il ne le trouvait pas en Allemagne, son père ?

K.Q :
Oui. Il le trouvait.

G.T. :
Après une longue et pénible et douloureuse recherche, il finissait par trouver son père. Si ma mémoire est bonne, il était kinésithérapeute [...], il se retrouvait à ne rien dire à son père, en se positionnant comme un éventuel patient. Il était massé par ce père qui n'a jamais compris non plus qu'il s'agissait de son fils. On trouvait àa, d'un point de vue romanesque, absolument magnifique.

C'est vrai que la partie allemande a été très, très documentée. Il y avait des folles nuits à Walpurgis, dans la forêt du nord de l'Allemagne. On a même retrouvé des gens qui avaient participé effectivement à l'occupation de Berlin, en zone française. Et puis il a fallu abandonner ça. C'était un peu une frustration, mais on a ramené le film à des proportions qui étaient quand même financièrement beaucoup plus cohérentes.

Et puis ce fils, dans la version actuelle, va partir à la recherche d'un père. C'est quand même la recherche d'un nom du père, qui le fait passer par plusieurs paternité. Il y a ce père est un fantôme. Il y a le père adoptif, François, ici présent, qui lui donne son nom. Et puis, à la fin, enfin, la mère réussit douloureusement à dire de quel père il s'agit et son nom. Ce qu'il cherchait le nom : il s'appelle Richter. Il a donc 3 noms, ce qui n'est pas rien quand même, pour les épaules d'un enfant qui aura grandi effectivement avec cette idée, comme ça, d'une malédiction.

Car il fait partie de ces enfants qu'on appelait les enfants maudits. On les appelle aussi enfants de boches. Et donc, c'est quand même une destinée qui n'est pas simple, dont il va se sortir. Et dont la mère finit par lui permettre de se sortir, au bout de vingt ans.

Un travail de recherche documentaire

Journaliste :
Comment avez-vous trouvé les images d'archives qui introduisent votre film ?

K.Q.:
J'ai fait appel à des documentalistes pour m'aider. Il a fait des démarches auprès de tous les fonds d'archives qui peuvent exister en France. Il y a les fonds d'archives départementaux, régionaux, l'INA, et puis il y a les archives des armées en fait, américaine, anglaise, française. Ils ont filmé, en fait, le moment de la libération France, ils avaiet des actualités...

Journaliste :
A quelle étape de l'écriture vous commencez à avoir des acteurs en tête que ça. Après, il faut aussi le couple qui va faire tenir ce récit. À quel moment ont été envisagés Anaïs et Vincent...

K.Q.:
Il y a plein de gens qui dès l'écriture ont des visages d'acteurs et en parlent à leur scénariste, et le choix d'un acteur guide l'écriture. C'est vrai que ça n'a pas du tout été notre démarche. On était vraiment dans la liberté pure, l'imagination pure de nos personnages. Et j'aime bien ça, parce que je trouve que... Parce qu'après ma démarche au casting, c'est plutôt d'aller vers des non évidences. Donc, j'ai pas envie d'être guidée par un acteur qui va de toute évidence, dès le début, correspondre. Je trouve ça beaucoup plus excitant d'avoir le champ libre et ensuite de pouvoir aller vers quelqu'un qui peut-être ne va forcément dans l'emploi prévu. C'est beaucoup plus intéressant, en plus d'aller proposer à un acteur quelque chose qu'il n'a encore jamais fait et de proposer aux spectateurs de voir un acteur vraiment se renouveler.

Le casting ou la formation d’un couple

Journaliste :
Et du coup, comment ce couple s'est formé... si on revient un peu sur la constitution du casting ?

K.Q.:
En fait, avec Sarah Teper, avec qui je travaille depuis toujours, depuis le premier film, qui est directrice de casting... en fait je lui donne le scénario, et puis on rêve ensemble du casting. On fait un ping-pong pareil, pendant des semaines, où on passe en revue tous les acteurs, on imagine les actrices et on crée une sorte de constellation. Puisque là, en l'occurrence,
on ne peut pas imaginer François sans imaginer Madeleine.

Et puis à un moment, avec le temps, la maturité de la réflexion, ça se fixe. Et on finit par avoir une forme de nécessité, d'évidence, vers des comédiens. En l'occurrence, j'ai pas fait de casting, je n'ai pas été vers d'autres acteurs : ce sont mes premiers choix. Aussi parce que je vais vers des acteurs qui ont un énorme parcours derrière eux. Vincent comme Anaïs, ils ont plus de 30 films derrière eux. Donc, si j'ai envie de savoir ce qu'ils sont capables de faire, j'ai une filmo suffisamment large pour le savoir et pour savoir aussi, peut-être, ce qu'ils ont pas encore exploré et que je peux leur proposer. Et, de toute façon, j'ai été chercher dans cette génération d'acteurs qui avaient une petite trentaine, parce qu'il fallait qu'ils aient vingt ans au début et presque quarante à la fin. Et Vincent et Anaïs faisaient partie des acteurs que j'admirais le plus et que je trouvais les plus intéressants. Et justement à qui je pourrais proposer quelque chose de nouveau.

Journaliste :
Justement une question pour Vincent. Est-ce que vous avez l'impression que vous avez passé un cap avec ce film... Qu'est-ce que ça vous a apporté dans votre carrière ?

Vincent Lacoste :
Ca je sais pas, je verrai quand le film sera sorti (rires). Mais me passer un cap, non... Je vraiment les choses comme ça. Je vois pas les films et les rôles comme des cap, parce que ça voudrais dire que je suis arrivé quelque part. Sauf que je suis jamais arrivé quelque part. En fait, ce qui m'intéresse c'est justement de me balader et d'arriver quelque part, mais ensuite de regarder ce qui se fait, que

ce soit sur la gauche ou sur la droite... Voilà une belle image : la carrière balade (rires).

Mais en fait, en tout cas, à la lecture du scénario, j'ai eu conscience que c'était rare et peut-être jamais arrivé qu'on me donne un rôle aussi complexe et puis surtout, qui s'étend sur vingt ans. Il y a une vraie densité, avec énormément de choses différentes à jouer. Et puis, comme disait Katell, elle voulat vraiment que que j'aille vers le personnage, que je perde du poids, que que que je boite... Que je rentre dans le personnage par une identité visuelle. C'est quelqu'un qui a l'air assez maladif, assez délicat, très bourgeois et qui ensuite du coup soit vraiment fébrile tout du long. Donc ça a été vraiment un travail qu'on a fait ensemble. Et ça m'intéresse de le faire comme ça, forcément. Ça m'intéresse toujours de faire des choses différentes. Et puis j'avais confiance, j'adorais ses films d'avant...

Un personnage « fébrile » pour Vincent Lacoste

Journaliste :
Justement, comment vous avez travaillé cette délicatesse, cet aspect très délicat, cette fragilité, malgré les contraintes physiques...

V.L. :
Honnêtement, j'ai trouvé un peu cela au début de tournage. Mais c'était dur d'être toujours très fébrile. Sur le tournage, katell, elle arrivait, je disais à Anaïs, tiens, elle va me dire d'être plus fébrile encore (rires). "Un peu plus fébrile" (rires). "Je suis fébrile déjà" (rires). En fait, c'était de jamais l'oublier. C'est un rôle qui demandait beaucoup de concentration pour ne jamais perdre le personnage, parce que c'est vrai que ce n'est qu'à un fil sa personnalité. En fait par exemple, comment jouer une scène de d'énervement tout en étant fébrile ? Il fallait faire, une espèce de colère, mais en même temps, rentré... C'est assez complexe, de garder le personnage. Mais c'est intéressant et comment je l'ai travaillé, honnêtement, la perte de poids m'a vachement aidé. En fait, moi, je n'aime pas quand je suis trop maigre. Donc, je n'aimais pas mon corps. [...] Et donc ça m'a aidé pour le côté maladif et je trouvais que ça me donnait une faiblesse, qui limite me dérangeait un peu et qui m'ont servi pour le personnage.

Mais les scènes à jouer étaient vraiment superbe. Et en fait Katell m'avait dit de m'inspirer de Daniel Day Lewis dans "Le Temps de l'innocence" et "Phantom Thread" pour le côté un très bourgeois, emprunté et délicat. Donc j'ai regardé ces films et c'était une bonne référence en plus. Ensuite, elle avait fait un truc super, un site (internet) pour toute l'équipe, avec une vraie documentation sur toute l'époque.

C'était vachement bien pour, en fait, se replonger dans l'époque, parce qu'il y avait à la fois énormément de documentation sur les femmes tondues, énormément de documentation sur la communauté homosexuelle à l'époque à paris, avec des articles sur des bars, où il y avait des descentes de police, etc. Et il y avait aussi à Châteauroux, l'ambiance, parce que c'était une petite Amérique à l'époque. Ils vivaient au rythme de la station militaire. Tout ça a permis de se plonger plus dans l'époque.

Tout une immersion historique

Journaliste :
J'ai vu au générique un conseiller artistique, mais pas le conseiller historique.

G.T.:
On a beaucoup lu, c'est vrai, beaucoup documenté. On avait même à la fin, poussé le vice documentaire, jusqu'à se retrouver à Châteauroux (rires), à visiter le US Muséum, où on peut voir une cuisine d'époque, des préservatifs d'époque, qui sont toujours sous vitrine, des cigarettes... Et puis on a fini notre journée dans une la dernière boîte de nuit de Châteauroux, avec une charmante hôtesse qui nous a raconté... qui ne se souvenait pas, parce que... En fait, on a rencontré des fantômes. Il n'y avait plus personne, évidemment, de cette époque, pour témoigner de ce qui avait été quand même la présence de 12 000 américains à Châteauroux, avec 8 0000 français qui ont été employés. De Gaulle trouvait que c'était quand même, à l'époque, une très bonne affaire économique, et c'est vrai que ça a été un bouleversement total, pour cette ville rurale, qui est devenue tout à coup une ville effervescente, dans laquelle ça picolait énormément.

K.Q.:
En moyenne 40 bières par semaine pour les GI...

V.L.:
Pour chacun des GI...

G.T.:
Et l'arrivée du jazz, bien évidemment.

K.Q.:
Je ne sais pas si tu te souviens, mais on a été rendre visite, dans son appartement hospitalier, à la prostituée la plus ancienne de Châteauroux. Parce qu'elle avait connu les soldats américains dans les années 60. Sa mère, qui était prostituée aussi, a bien connu cette période-là. Donc on avait obtenu plein d'informations sur l'ambiance.

G.T.:
Donc vous voyez que nous sommes irréprochables de ce point de vue (rires).

Des personnes qui évoluent sur une quinzaine d’années

Journaliste :
Vincent, on est plus à l'aise quand on se rajeunit ou quand on se vieillit en tant qu'acteur ?

V.L.:
Bonne question ! Quand on sera rajeunit ça allait. J'avais vingt huit ans, donc j'étais plus proche au début, et ça va de vingt cinq à quarante ans à peu près. Donc avant, y avait pas énormément de changements. C'est plus en fait le vieillissement. C'était plus simple à trouver, je pense, avec déjà les costumes, le maquillage, évidemment, et plus un truc dans l'assise. C'est un personnage qui a plus d'assise, à quarante ans, évidemment, il est prof et le costume fait beaucoup sur la prestance et le sérieux. [...] Mais quarante ans, on est encore jeune, c'est pas comme si j'avais eu à le faire à soixante ans. Ça aurait vraiment été différent.

Il y a l'assurance, mais il est quand même très fébrile. Alors il y a encore une difficulté : comment avoir de l'assurance tout en restant fébrile ? (rires)

K.Q.:
De mon côté, ce qui était super beau à voir, dans les premiers jours, il y a deux trois prises où Vincent était le personnage. Et puis, plus le tournage avance, et plus il est complètement personnage dans cinq, huit prises... C'était fou de voir comment il l'avait trouvé, François. Et au point de parfois dépasser mes espérances et de proposer des choses à l'intérieur de ce personnage. C'était très beau de voir comment, progressivement, il est entré dans le personnage. Et moi, j'avais de plus en plus de matière pour le montage. Ca c'était génial.

Journaliste :
Et le plan de tournage était proche de la chronologie ?

K.Q.:
Oui, j'avais fait exprès de démarrer par le début et de terminer par la fin, pour lui. Par contre, au milieu, évidemment, il y a des choses qui s'inversent un peu, mais quand même, il y avait une chronologie assez respectée.

Une utilisation de la musique, pensée dès l’écriture

Journaliste :
Pour l'utilisation de la musique, est-ce que c'est quelque chose que vous avez réfléchi dès l'écriture ? Je pense notamment au passage dans la salle du restaurant, juste après leur rencontre, où la musique s'arrête d'un seul coup au moment où ils sont que tous les deux pour la prise de commande... Et la scène également, où il tape à la machine et que quelque part la fête, dans le bar en dessous le rappelle à la vie, alors que son écriture de thèse l'en éloigne un petit peu...

K.Q.:
Là vous me citez deux exemples qui n'étaient pas prévus au scénario. C'est des choses de tournage... Mais sinon, par contre, pour ce qui est vraiment du score, la bande originale du film, oui, dès l'écriture on a déjà une vision, avec Gilles, de moments qui sont des moments de respirations narratives qui vont induire de la musique.

Une scène musicale ne s'écrit pas de la même manière et ne se tourne pas de la même manière qu'une scène qui ne l'est pas. Après ce sont des choses qui, souvent, nous surprennent au montage. On peut avoir prévu un pont musical, et en fait, il fonctionne pas. Et inversement, une scène de nature à ne pas accueillir de la musique se retrouve avec. C'est toujours une réécriture le tournage, et la dernière réécriture du film c'est toujours le montagne. Là-dessus, plus on fait de films et plus on sait qu'on ne sait pas tout à fait. Donc il faut toujours anticiper. J'anticipe toujours de me dire: ok, j'ai prévu un pont, mais si ça se trouve, cette scène en fait... Je donne par exemple, la scène du mariage était prévue comme un pont, mais au tournage, je l'ai tournée comme si c'en était pas une, c'est-à-dire que j'avais du texte pour les acteurs. Il y avait un maire avec un discours. Au cas où ce compte fonctionne pas. Je prévois toujours les deux. C'est le rythme de la séquence en soi qui n'est pas le même s'ils faut un pont ou pas musicalement. Voilà, je change réfléchir à ces choses.

Le choix à contre-pied, de l’utilisation de la caméra portée

Journaliste :
Une question sur la mise en scène, et le choix de la caméra portée qui surprend un peu, dans un film avec reconstitution... mais qui semblait être un choix pour abolir très vite, en fait, la distance qu'il pourrait y avoir avec l'époque montrée ?

K.Q.:
Oui, c'est exactement ça en fait. Avec Tom, mon chef opérateur, avec qui je travaille depuis toujours, à chaque film on a rendez-vous tous les deux et on essaye de progresser ensemble, de faire mieux, de se donner plus de défis. Et on est du genre tous les deux à énormément préparer, à travailler beaucoup. Et là on s'est un peu fait violence, en préparant un peu moins, c'est-à-dire en obligeant à se mettre en danger, dans len découpage, et à être un peu moins précis, parce que on savait qu'il ne fallait pas figer le film, l'emmener du côté de l'époque, mais au contraire, par la grand-mère qu'on allait inventer ensemble le moderniser, lui donner son intemporalité, pour ces thèmes.

Et donc, il fallait qu'on accueille de l'imprévu, du vivant, qu'on laisse la place aux acteurs. Et du coup on avait plutôt un dispositif qu'un découpage hyper précis, sauf pour certaines scènes. Pour beaucoup, on assumait de mettre en place quelque chose le matin, ce qui est toujours plus délicat, plus inquiétant, plus lourd pour nous, mais qui permet d'accueillir ces espaces de vivant.

Et, par contre, le choix de faire tout le fil à l'épaule est un choix qui est arrivé, évidemment, en amont. C'était l'envie d'être dans un truc antagoniste. Car la forme du mélo, qui est quand même la forme à laquelle se réfère le film... Dès l'écriture on avait cette ambition d'écrire un mélodrame, dans l'inspiration du cinéma hollywoodien. ...Ça appelle, en termes de grammaire, souvent à une forme de sophistication, à beaucoup de travellings, de rails de Steadicam. Et nous, on a pris le contre-pied, en se disant "non, on sera tout le temps à l'épaule ».

C'est vrai qu'on est plutôt près des comédiens. Il y a beaucoup de plans assez serrés. Alors que la grammaire hollywoodienne, elle est hyper hiérarchisée dans le plan, dans le mélodrame. On a vraiment mis un coup de pied là-dedans. C'était aussi le côté un peu vivant, un peu punk du film, parce que c'est comme un film qui cherche aussi son côté rock'n'roll. Ce sont deux personnages qui, en fait, sont des marginaux dans une société très corsetée, et il fallait aussi que la forme nous emmène vers ça.

Je sais que j'ai beaucoup de de de fin de petites tensions. Avec mon chef décorateur, par exemple, qui lui, et c'est complètement normal, était dans une exigence absolue sur la reconstitution, que chaque décor soit bien d'époque et tout, et d'ailleurs, le film lui doit beaucoup. Mais c'est vrai que nous, on est s'empêchait pas parfois de se retourner dans une rue qui n'avait pas vraiment été reconstituée faute de moyens, mais parce que c'était beaucoup plus vivant pour le film.

C'est le grand piège quand on fait un film d'époque, c'est très cher de reconstituer, donc on se cantonne à des axes. Et ça, c'est le meilleur moyen de rater son film, c'est de respecter les axes prévus. Donc parfois on se faisait un peu disputés avec Tom, mais je pense qu'on a bien fait et qu'il faut créer des règles, puis les transgresser soi-même, pour espérer faire mieux, faire quelque chose de vivant.

G.T.:
Ce qui en fait un mélodrame vivant et moderne.

K.Q.:
Et tant pis pour les fils électriques...

Des comédiens qui apportent la véracité des dialogues

Journaliste :
Et est-ce que les comédiens et les comédiennes ont le droit de transgresser... ?

K.Q.:
Oh oui, bien sûr, je ne suis pas très, comment dire... (rires). Je ne suis pas trop psychorigide, surtout que j'ai vraiment conscience que c'est extrêmement difficile d'écrire des bons dialogues. Et, en fait, souvent, on est très contents de nos dialogues, quand on passe au CNC, dans les commissions... Et puis on se rend compte, au moment de la préparation, qu'ils n'étaient pas si bon que ça. Et on peut se rendre compte vraiment de ça avec les comédiens, une fois qu'ils mettent ça en bouche. Ils nous font nous rendre compte, en fait, de ce qui fonctionne ou pas. Il y a toujours une dimension littéraire dans ce qu'on fait, et qu'il faut vraiment être capable d'affronter, d'abandonner. Et donc moi je les écoute énormément là-dessus.

Et puis, même, je me rends toujours compte après coup, qu'on fait jamais encore assez confiance à l'incarnation. C'est à dire qu'une fois qu'il y a des acteurs, qu'il y a des corps en mouvement dans l'espace, tellement de choses sont dites que nous on a raconté par le dialogue, et heureusement parce que, sinon, le scénario ne pourrait pas les transmettre. Mais il faut faire un deuil de la parole quand on passe au tournage, un deuil énorme de la parole, et on ne le fait jamais assez. Et, en tout cas, il faut être capable de réécrire ces scènes jusqu'au dernier moment, et d'avoir cette énergie et cette vigilance, jour après jour...

G.T.:
Rien de pire qu'un scénariste qui vient vérifier ses dialogues pendant un tournage. J'en ai connus... (rires)

K.Q.:
Non. Et puis il y a des dialogues qui viennent d'eux. Il y a des blagues qui viennent de François, pas de moi, et qui apportent énormément à certaines scènes... La scène dans la bibliothèque, avec Sylvie vartan.et les mathématiques, c'est une anecdote de François. Je l'ai lue dans le journal aussi, mais c'est une impro de Vincent. Ca apporte un truc. Ca montre la tendresse qu'il a pour sa fille. Et puis, il y a pas beaucoup de moments dans le film où on peut un peu se marrer. Et on a remarqué dans la salle, souvent les gens s'en emparent pour rire, parce qu'ils ont besoin de lâcher la pression.

Un titre évident, qui inscrit la durée comme composante du couple

Journaliste :
Pourquoi le titre ?

K.Q. :
On a beaucoup parlé de ce petit titre. Et on l'a eu très tôt.

G.T.:
Oui, en même temps. Il y a quelque part un clin d’œil à Douglas Sirk, "Le temps d'aimer, le temps de mourir". On s'est arrêté "au temps d'aimer", et puis il s'est trouvé que ça parle évidemment d'un couple qui prend beaucoup de temps, et que ça a à voir avec la durée. L'amour étant quand même, à la différence de la passion, quelque chose qui se mesure véritablement dans la durée. Là, on était immédiatement d'accord sur la réflexion sur la question du couple, de la complétude, est très au-delà du rapport sexuel, dont un certain Lacan disait "C'est bon, c'est court et ça n'établit rien", parce qu'il faut que ce soit médiatisé par le langage et que donc, le couple, c'est d'abord et avant tout ça, je le pense, une aventure de mots.

Et il se trouve que là, les mots sont quand même très empêchés, puisque l'un et l'autre sont porteurs à leur façon, chacun avec son histoire, d'un secret, de quelque chose d'innommable. Et c'est ce qui fait au départ la folie de leur aimantation. C'est que sans savoir d'où ils viennent exactement, et qui ils sont bien évidemment, puisque c'est une rencontre tout à fait fortuite, ils sont attirés l'un par l'autre. Et il faudra beaucoup de temps, il faudra une vingtaine d'années pour que, finalement, une histoire se mette en place, c'est-à-dire que l'amour devient alors une véritable construction. Une construction qui passe par les mots, qui passe aussi par l'aveu, en sachant que tous les secrets sont pas bons à dire, et qu'il faut parfois, disons, les taire pendant un certain temps pour pouvoir les dire dans un deuxième temps. Ce qui est effectivement le cas de Madeleine, qui a beaucoup de mal à donner le nom, dont on parlait tout à l'heure, de ce père à un fils qui est prêt à la tuer si elle ne le dit pas.

Donc, là-dessus on était d'emblée fondamentalement d'accord. "Le temps d'aimer" c'est tout ça. C'est tout le temps qu'il faut pour s'apprivoiser, se connaître, se reconnaître et parfois même se haïr. Parce que je pense que c'est pas éloigné d'un rapport haine / amour le couple. Il y a une émission sur France inter, qui s'appelle "kit de survie à l'usage des couples", qui raconte effectivement à quel point la nature du couple c'est quand même la stabilité. Donc, c'est d'être d'une certaine façon un peu contre-nature, et "Le temps d'aimer" parle de ça.

Journaliste :
Mais il y aussi le temps d'aimer son fils...

K.Q.:
Bien sûr, parce que c'est aussi un film sur la maternité-empêchée. C'est quelque chose qui me tenait beaucoup à cœur de montrer un personnage féminin qui sort de la représentation conventionnelle de la mère. C'est vrai qu'on a encore beaucoup de mal avec la représentation des mères un peu « défaillantes ». C'est quelque chose qui me touche et c'était une manière de montrer comment, quand quelque chose ne passe pas entre la mère et l'enfant, c'est pas une question d'inné ou d'acquis. C'est qu'il y a quelque chose souvent qui a été traumatisé, en fait, que ce soit dans la génération ou celle-là, ou c'est encore transgénérationnel.

G.T.:
Mais que faire d'un enfant qui est la preuve vivante de la faune que l'on a pu commettre à un moment ?

K.Q.:
Oui c'est ça.

G.T.:
Quand faire? Jusqu'à la tentation, pourrait-on dire même à la limite de l'infanticide...

K.Q.:
L'amour finit par circuler. En fait, c'est vraiment un film sur l'amour, sous toutes ses formes qui circule souterrainement, partout, tout le temps. À l'intérieur de personnages qui sont tous à un endroit empêchés. Et en fait, ce qui est quand même un truc très fréquent dans la vie.

On a du mal à dire « je t'aime », à se toucher... alors que l'amour est partout. C'est un paradoxe qui me fascine toujours.

Un rapport mère enfant qui irrigue plus que ce film

Journaliste :
Cette notion de mère défaillante, on l'avait déjà sous une autre forme, dans "Suzanne", avec aussi une construction elliptique...

K.Q.:
Je pense que c'est un thème qui m'est cher. Ce rapport à la maternité de ma famille. Ce rapport mère-enfant il traverse en fait tous mes films. Et sans même que je m'en rende compte.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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