INTERVIEW

LA PETITE CAVALE

Julien Bisaro et Claire Paoletti

réalisateur et scénariste, réalisatrice, scénariste et productrice

N’ayant pu nous rendre à la séance de Pitch du Festival d’Annecy où était présenté « La Petite Cavale« , premier long du tandem composé de Julien Bisaro et Claire Paoletti, auxquels on doit le sublime « L’Odyssée de Choum » (Cristal de fiction télé en 2021 et nommé aux Césars), c’est une rencontre dans un café lors du Festival d’Annecy qui nous a permis d’en savoir sur l’un des projets les plus excitants du moment (déjà triplement primé avec les Prix SACD, Prix CICLIC et Prix Cristal Publishing pour la musique). Un film de 1h10 qui mettra en scène un manchot découvrant la paternité en adoptant un œuf d’échidné (hérisson) suite à une éruption volcanique en Nouvelle-Zélande. Retour sur une vingtaine de minutes d’entretien, avant que le projet ne soit présenté cette fois-ci, au Cartoon Movie, à Bordeaux début mars.

Entretien Interview Rencontre
© Picolo Pictures

Un projet sur les rails

Journaliste :
J'ai pu découvrir le premier teaser de "La Petite Cavale". Vous êtes au tout début du projet ?

Julien Bisaro :
On est en tout début du process de financement.

Claire Paoletti :
En termes d'étapes, on va dire, c'était formidable pour nous de venir ici, à Annecy, présenter ce projet-là. Car, ça fait deux ans qu'on travaille. On a déjà élaboré une première version du scénario. Le développement graphique est fini. On a donc le teaser qui est tout frais. Et donc, ça s'est décidé, de faire cette première, d'une certaine façon, à Annecy, pour lancer le début du financement. On cherche en fait tous nos partenaires à ce stade : distributeur, vendeur international, chaîne... Et on espère faire [le Cartoon Movie] l'année prochaine.

Journaliste :
Et vous espérez un début de production à quel moment ?

Julien Bisaro :
C'est une bonne question. On va commencer sous peu. Je vais me mettre sur le story-board, donc le découpage. On prévoit aussi un voyage en Nouvelle-Zélande. Ça va être vraiment un aller-retour, pour cette phase de story-board. Pour de la documentation...

Un gros travail de documentation

Journaliste :
J'ai vu que vous travaillez avec un documentaliste... Ça va être un travail itératif lui ?

Claire Paoletti :
En tout cas, on a envie de mettre en place quelque chose.

Julien Bisaro :
En fait, on ne sait pas encore ce qu'on va en tirer. Il y a bien sûr tout le rapport aux animaux, les animaux endémiques, cela va nous intéresser. Mais il y a aussi tout ce qui est de l'ordre de la culture maori, l'Histoire de la Nouvelle-Zélande. Mais là, effectivement, on va voir ce qu'on peut en tirer... On est sur un film qui parle des animaux, mais effectivement il y a dans le contexte, une identité, une culture dont il faut prendre soin.

Claire Paoletti :
Même si, de toute façon, l'histoire est vraiment centrée sur des animaux, donc les humains sont à l'arrière-plan du récit. Un peu comme dans "Choum", d'ailleurs, de ce point de vue là.

Journaliste :
Dans "L’Odyssée de Choum" ils étaient en effet très éloignés. Hormis peut-être dans le cabanon à la fin...

Julien Bisaro :
Là c'est le même principe. C'est à dire qu'on est dans le même point de vue des animaux. C'est ça qui est important. Il va y avoir des interactions.

Claire Paoletti :
Sachant qu'on a aussi ce parti-pris d'avoir des animaux qui sont non dialogués, qui sont bruités. Donc, ça va être aussi toute une finesse qui commence à l'écriture, qui se poursuit beaucoup, beaucoup, sur le travail du découpage et du story-board. C'est vrai que nous, quand on coécrit, on fait un ping-pong permanent entre l'écriture, la mise en image, la mise en découpage, le test d'idées...

Julien Bisaro :
On est très en pantomime aussi, donc ça passe par la mise en scène, l'allure des personnages... On retrouve les émotions.

Claire Paoletti :
C'est un peu comme si on était sur du cinéma muet.

Julien Bisaro :
On retourne voir les maîtres...

Claire Paoletti :
...Chaplin, qui est notre référence ultime, évidemment. En plus, avec un manchot, il a un petit air de Charlot, quand même !

Une histoire de famille recomposée

Journaliste :
Du coup, vous partez à nouveau d'une histoire d’œuf. Mais pour aller cette fois, non pas vers la fraternité, mais quelque chose de plus famille, de l’ordre de la paternité... ?

Julien Bisaro :
Un rapport filial effectivement. On est encore dans des espèces qui recomposent une famille. Le cœur de la famille c'est le lien affectif.

Claire Paoletti :
C'est vraiment l'idée de la rencontre inter-espèces, avec l'adoption, qui est au centre de l'histoire et des personnages qui s'auto-adoptent...

Julien Bisaro :
Avec toutes les problématiques que ça vient aussi supposer, de connaissance de comment ça marche... Ce qui nous intéressait aussi, c'est qu'ils trouvent leurs solutions, un peu créatives, qui ne sont pas forcément attendues... Et du coup ça crée une famille très particulière.

Claire Paoletti :
Ça permet aussi de placer des éléments de comédie. Le fait à la fois que ce soit raconté dans la pantomime, et puis avec des situations inattendues...

Julien Bisaro :
...les manchots sont des animaux qui couvent leurs petits et leurs œufs, donc forcément quand il naît [le hérisson]...

Claire Paoletti :
Ça pique ! C'est un problème de base. Mais qu'ils vont régler de manière inattendue. Vous verrez...

Les rapports entre humains et animaux

Journaliste :
Vous vouliez aussi aborder les rapports entre humains et animaux ?

Claire Paoletti :
Oui tout à fait.

Julien Bisaro :
Alors, effectivement, parce qu'on part du personnage de Cookie, le manchot, qui est un animal qui a été recueilli en couveuse par des humains. En fait c'est un animal qui est domestiqué. Et il y a toute la problématique est de se ré-ensauvager. C'est un peu l'inverse de ce qu'il y avait dans "Choum", où ils venaient de la nature...

Donc là, il y a une réflexion : qu'est-ce que c'est que la domestication ? Des soins, bien sûr. Mais on parle aussi de la maltraitance animale. Ils croisent un personnage, qui est un kakapo, un perroquet endémique à la Nouvelle-Zélande, et qui a été abandonné dans une cage. Il y a un volcan qui rentre en éruption. Les humains quittent cette partie de l'île, et les animaux se retrouvent tout seuls... Donc on essaye d'aborder ces choses-là. La réintroduction animale. Mais aussi un questionnement sur le territoire : le territoire naturel, le territoire humain...

Claire Paoletti :
C'est un autre aspect, qui nous intéresse beaucoup, et dans lequel on pourrait voir nourrir le film, c'est tout ce rapport au vivant dans son ensemble. Que ce soit l'animal, le territoire... En posant aux jeunes spectateurs en particulier, ces questions : qu'est-ce que c'est que le rapport à l'animal, le rapport à l'espace, le rapport au paysage ? Quelle est notre place, nous, en tant qu'humains, à l'intérieur de cet univers, dans notre monde, en fait. Quelle est notre place dans le monde qu'on habite ? Et quelle est la place que peut trouver ?

Journaliste :
Qui peut-être une place de domination...

Claire Paoletti :
Oui tout à fait. C'est exactement ça et comme ça l'est encore là. Et il nous semblait que la Nouvelle-Zélande, un pays qui fait un peu rêver, était le territoire idéal pour raconter ça. Parce qu'en fait la nature y est très puissante, très présente. Ils ont cette réflexion de fond sur des animaux endémiques qu'ils essayent de protéger, qui ont été très maltraités...

Julien Bisaro :
Beaucoup d'oiseaux aujourd'hui en Nouvelle-1élande ne volent pas, parce qu'ils n'avaient pas de prédateurs, en fait. Et quand les colons et même les maoris sont arrivés, ils ont amené des chiens, des rongeurs, dans les bateaux... Ça a brutalement déséquilibré. Aujourd'hui ils ont une réflexion sur l'agriculture, comment rééquilibrer les choses, avec une politique de protection, de préservation de certaines espèces... Il y a aussi le travail, qui est délicat, sur la culture marori, la dimension des terres... Mais ça on ne va pas en parler, car c'est un territoire assez complexe, en matière d'Histoire...

Claire Paoletti :
Donc, c'est vrai qu'on aimerait bien... Et là, on est en train d'essayer de poser des jalons pour créer des ponts, à la fois pour avoir des consultants sur place, scientifiques et aussi peut-être de production. On cherche en tout cas à mettre en place des liens avec la Nouvelle-Zélande autour du film, afin qu'il gagne en force...

La part belle aux décors naturels

Journaliste :
Et donc vous souhaitez faire la part belle aux décors naturels dans ce film.

Julien Bisaro :
Oui.

Claire Paoletti :
C'est la raison pour laquelle on veut aussi aller faire des repérages.

Julien Bisaro :
Notamment sur les espèces végétales. Car il y a des choses qui sont très typiques...

Claire Paoletti :
C'est très préservé. Il y a des forêts primaires au nord, qu'on a hâte de découvrir.

Julien Bisaro :
Pour l'instant, c'est que de la documentation.

Claire Paoletti :
On est nombreux à être fascinés. C'est notre bout du monde aussi, pour nous, et il y a donc quelque chose de puissant.

Julien Bisaro :
Pour "Choum" on avait fait des pastilles, auto-produites, autour du film. Là on aimerait, sur la base du voyage, peut-être faire de petites pastilles documentaires, sur les rencontres qu'on a faites, sur les refuges, les animaux...

Claire Paoletti :
Aussi parce qu’on se sert beaucoup, en fait, de références pour l'animation. Donc on ferait aussi des références visuelles, en allant filmer des manchots...

Journaliste :
Pour avoir une meilleure idée des mouvements, des choses comme ça ?

Julien Bisaro :
C'est vrai que, même par rapport à "Choum", c'est ce que j'avais fait, et je trouve cela très nourrissant. J'aime bien combiner en même temps, ce qui est issu de l'animation, c'est à dire du rythme, et se servir de l'expressivité... et pour cela je me sers de références de mouvements notamment. C'est très intéressant de réinjecter du réalisme, et de se le réapproprier ensuite.

L’importance des bruitages

Journaliste :
Vous disiez tout à l'heure qu'on n’est pas complètement dans du muet, il y a aussi les bruits des animaux. C'était quelque chose de très important dans "Choum", qui faisait aussi partie de la tendresse qui émanait du film. Vous avez choisi de travailler avec la même personne ?

Julien Bisaro :
Oui. C'est Gurwal Coïc-Gallas.

Claire Paoletti :
Il est à la fois monteur son, il travaille beaucoup pour le cinéma, et créateur sonore. Il avait élaboré les voix des animaux et il travaille cela comme une véritable langue, en fait. Presque syllabe par syllabe...

Julien Bisaro :
C'est très détaillé comme travail. Il faut imaginer... sur "Choum", il utilisait un cri d'oiseau, comme un rire d'enfant... C'est vraiment du morphing sonore.

Claire Paoletti :
La difficulté, en fait, c'est d'arriver à ce qu'on reconnaisse la voix de l'animal, mais aussi l'intention. C'est ça qu'on cherche. Et c'est pour ça que ça marche bien avec l'histoire du rire. C'est à dire qu'il faut arriver, comme quand c'est un acteur qui joue, qui traduit une intention, à faire de façon à ce que les gens qui regardent, comprennent.

Julien Bisaro :
Il cite souvent celui qui a fait les voix de Wall-E ou de R2D2. C'est des voix numériques, métalliques, mais on met presque des mots dessus. C'est là la difficulté.

La tendresse comme marque de fabrique ?

Journaliste :
Est-ce qu'on peut déjà dire que la tendresse est votre marque de fabrique ? Qui peut-être vous unit dans l'écriture...

Claire Paoletti (rires) :
C'est joli en tous cas. C'est une question de sujet aussi...

Julien Bisaro :
Moi ça me plaît beaucoup. Quand on creuse le sillon. C'est vraiment ça, c'est un vrai défi. C'est nécessaire en fait. Après j'ai d'autres projets, plus adultes ou avec des problématiques un peu différentes....

Claire Paoletti :
Peut-être aussi, qu'avec "La Petite Cavale", pourquoi on a poursuivi sur ce registre ? C'était parce qu’on a eu la chance que "Choum" tourne énormément. On a fait beaucoup de rencontres, avec du jeune public en particulier. Et c'est vrai qu'on a senti une résonance, par rapport à des choses qui nous plaisent de raconter. Et vingt-six minutes, c'est court. Donc on restait un petit peu sur notre faim. On avait envie d'approfondir. On avait encore plein de choses à dire, à montrer.

Et voilà, on a eu une sorte de période de réflexion, d'approfondissement, pour se dire, est-ce qu'on a le sujet pour aller sur un soixante-dix minutes. Et par chance, on s'est répondu « oui ». Et du coup, on a l'ambition d'aller jusqu'au bout de ce qu'on veut raconter, sur le sens du lien. Et aussi de proposer à un public familial un récit qui n'a pas de prédateur... où on n'est pas dans les archétypes.

Julien Bisaro :
C'est un récit où il n'y a pas de méchant. En termes d'histoire on est sur des enjeux où on n'a pas besoin d'un antagonisme pour avancer.

Claire Paoletti :
On a vraiment cherché une forme de récit qui tient un peu du road-movie d'ailleurs. Où finalement, ce sont les enjeux personnels des personnages qui les font vraiment avancer dans l'histoire. C'est l'avenir, c'est la nécessité de survie...

Julien Bisaro :
Les problématiques d'adaptation... Leur situation affective qui change...

Claire Paoletti :
Il faut qu'ils se nourrissent... ce sont des choses qui sont très essentielles finalement. Et ça se fait tout en construisant cette famille, un peu unique, qui nous plaisait de raconter.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT