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INTERVIEW

ICI ET LA-BAS

Ludovic Bernard

réalisteur

C’est au QG du Festival de l’Alpe d’Huez 2024, accoudé à une table haute, que Ludovic Bernard réalisateur de la comédie « Ici et là-bas« , avec le duo Ahmed Syllah et Hakim Jemili, qui donnait aussi une interview à côté, a accepté de répondre aux questions des journalistes de Radio Judaica Lyon et d’Abus de ciné. Une quinzaine de minutes d’échanges autour d’un road-movie qui joue sur les clichés raciaux comme régionaux.

Entretien Interview Rencontre
© StudioCanal

Une comédie sur les préjugés raciaux

Journaliste :
Est-ce que vous diriez qu'il s'agit avant tout d'un film pour contribuer à casser les préjugés, à la fois des gens sur les autres, mais aussi des gens, finalement, sur eux-mêmes, qui contribuent parfois à les perpétuer ?

Ludovic Bernard :
Surtout sur eux-mêmes, oui. Et puis je pense, surtout en ce moment, dans notre société aujourd'hui, qu’il y a beaucoup de préjugés assez négatifs. Donc, effectivement, l'idée, c'était de jouer à contre-courant et d'amener ces deux personnages l'un vers l'autre.

Journaliste :
Avec l'importance aussi, que ça a dans le monde du travail...

Ludovic Bernard :
Exactement. C'est une vérité, on l'entend tous les jours, aujourd'hui, en 2024. C'est totalement absurde, encore aujourd'hui. On voulait jouer avec ces codes-là, et puis, évidemment pour nous, c'était aussi important que le film ne soit pas moralisateur, ne donne pas de leçons. Et je trouve qu'à travers la comédie, on peut s'en sortir plus facilement.

Journaliste :
Pour reparler du monde du travail. Le personnage d'Hugo Becker, à la fin, s'excuse... Il est allé trop loin.

Ludovic Bernard :
Les deux, en fait, vont trop loin, quelque part aussi. Le personnage d'Ahmed va trop loin aussi dans sa démarche. Alors que, s'il était plus sincère et plus honnête avec lui-même, peut-être qu'il n'y aurait pas tout ça. Donc, je pense que les deux se sauvent à la fin. Les deux ont les mêmes problèmes de trouver du travail et de rester dans ce travail, et peut-être que, effectivement, pour le personnage d'Ahmed, c'était plus compliqué.

L’importance du Sénégal

Journaliste :
Le fait d'avoir choisi le Sénégal, c'était ici pour apporter un peu de douceur, avec un côté très solaire ?

Ludovic Bernard :
C'était une culture différente, évidemment. C'était aussi un paysage différent, et puis c'était aussi, pour parler, d'une certaine manière, de l'immigration, et puis des gens qui viennent aussi du Sénégal pour travailler en France. Donc, nous, on a joué avec ce code de ce Français qui habite au Sénégal, qui veut retourner au Sénégal. Et qui cherche du coup des papiers sénégalais. C'est ce code-là qui fait le ressort de la comédie. Mais c'était pour montrer que peu importe où on est. D'ailleurs, le personnage d'Halim le dit très bien : « Je suis français, je suis sénégalais. Ici ou là-bas, je reste ton fils ». C'est ce qu'il dit à son père et c'est une phrase qui me plaît beaucoup dans le film. « Ici ou là-bas, je reste l'homme que je suis. Et peu importe où je vis », et c'est pareil pour qu'on soit blanc, qu'on soit noir, dans notre société.

Journaliste :
Et il y a aussi le problème du père notamment, qui n’a pas accepté que son fils parte là-bas... ce racisme-là.

Ludovic Bernard :
Oui, parce qu’il y a aussi plusieurs formes de racisme. Je pense que si les gens ne sont pas de couleur, le racisme n'existe pas, même s'ils viennent de l'étranger. C'est assez étrange, cette partie-là, c'est très glissant... Mais ça ne devrait pas être, aujourd'hui. Et puis, j'ai un côté un petit peu nostalgique de 1998, de la Coupe du monde, la France était black-blanc-beur, où on était tous unis. Il y avait une sorte de France unie, multiculturelle, et qui l'assumait. Et qui était positive, et je trouve qu'on a perdu ça avec le temps.

Des comédiens également humoristes, qui apportent beaucoup

Journaliste :
Hakim Jemili est aussi, comme Ahmed Sylla, un humoriste, un comédien d'improvisation. C'est facile de maîtriser les deux ensemble ?

Ludovic Bernard :
C'est très facile, car ils sont très pros tous les deux. Et ils apportent énormément à leurs personnages et ils apportent beaucoup d'humour. Il y a beaucoup de choses que eux ont trouvé sur le moment, parce que c'est deux mitraillettes. On les entend là, derrière nous [on perçoit des plaisanterie, des cris, des rires, à une autre table], mais ils ont beaucoup d'humour et ils apportent énormément à la comédie en plus.

C'est un bonheur de travailler avec eux. Après le plus difficile, c'est pour moi au montage de trouver les bonnes prises et de trouver ce qu'il y a de plus drôle. C'est un vrai bonheur de travailler avec eux, parce qu'ils sont vraiment très très bons tous les deux, et faciles, dans la comédie et dans l'émotion. Ce n'est pas juste de la comédie.

Montrer la diversité de la France

Journaliste :
Est-ce qu'à l'écriture du scénario, vous aviez tout de suite envie de faire un road-movie entre ces deux personnages ?

Ludovic Bernard :
Oui, parce que je voulais qu'on montre la France, justement. C'est pour ça qu'on se sert un petit peu de tout le monde, qu'on se sert des Bretons, qu'on se sert des gens dans le sud, à Uzès, qu'on se sert des gens dans le nord. Je voulais montrer que la France est belle, que la France est multiculturelle. Et il y avait le fait que le personnage d'Hakim redécouvre son pays aussi. C'était important pour les deux personnages.

Et puis j'avais envie de montrer ce paysage, j'avais envie de montrer le voyage. Ce voyage ça les rassemble, ça les unit, parce qu'ils sont obligés de voyager dans le même véhicule.

Journaliste :
Justement à l'écriture, cette France finalement, à la fois des particularités et des traditions (vous terminez sur la confiture…)... Est-ce qu'il y a eu, à un moment donné, un choix de cet ordre pour l'évoquer ?

Ludovic Bernard :
L'écriture s'est faite naturellement comme ça. L'idée c'était de faire le nord, l'ouest et de terminer dans le sud. En plus le personnage d'Hakim veut rentrer vers l'Afrique, donc c'était naturel de descendre vers la Méditerranée.

Un jeu sur l’apparence et ce qu’on est

Journaliste :
Vous êtes finalement sur la question de l'identité. À la fois le dedans-dehors, c'est-à-dire l'apparence d'un côté, et le for-intérieur de l’autre, ce qu’on sent être soi-même. Il y a une scène, très réussie, qui est chez la confiturière, où la mère tire au plafond et le personnage d'Ahmed devient blanc avec le plâtre. En termes de symbolique, c'est très fort. Comment est venue cette idée ?

Ludovic Bernard :
Elle est venue naturellement. Et il fallait la tourner naturellement, il ne fallait pas marquer plus que ça le fait. C'est vraiment de la pure comédie. C'est ça qu'on a voulu chercher avec Hakim et Ahmed. Ils sont partis avec moi dans ce délire-là, et on a beaucoup ri. D'ailleurs, j'ai entendu la salle qui a beaucoup ri à ce moment-là. C'est plus le discours, je dirais, qu'après le personnage d'Ahmed tient, sur sa personnalité, sur les CV qu'il a dû envoyer, sur le nom qu'il a dû changer...

Journaliste :
Est-ce que vous leur avez laissé une part de liberté de jeu ? Ou alors c'est vraiment très écrit ?

Ludovic Bernard :
Pour le coup, c'est très écrit. Tout est écrit. Je pense que c'est important : on travaille en amont sur le texte, on change des choses ici et là, mais lors du tournage, c'est important que le texte soit donné, soit exact. Parce qu'il y a des réponses des uns, il y a les réponses des autres. Et pour moi, c'est vraiment le fil d'Ariane du film, sinon on perd trop de l'identité. Et puis après, on peut se gourer, on peut s'emballer sur quelque chose qui n'est pas le film. Quelque chose qui est drôle sur le moment, mais ne fonctionne pas vraiment sur le fond. Donc, oui, le texte est très important pour moi. Après, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des petits trucs en plus, que eux ajoutent.

Mais au départ le plus important c'est le texte. Je suis très à cheval sur les virgules, sur les points. Faut pas s'éparpiller. Et la comédie, elle peut être drôle sur celui qui dit la phrase, mais c'est peut-être plus drôle sur celui qui l'entend. L'écriture est quelque chose qui sonne bien, quand on le dit... c'est pour ça qu'on fait beaucoup de répétitions. J'aime bien travailler en amont, pour lever les faiblesses du texte ici ou là, et les doutes qu'on peut avoir...

Journaliste :
Vous avez tourné au Sénégal. C'était un pays que vous connaissiez ?

Ludovic Bernard :
Pas du tout. Mais c'était une région assez touristique et je voulais que ce soit beau. Donc c'est important d'embellir aussi le sénégal.

Journaliste :
Et le casting sénégalais... ?

Ludovic Bernard :
Sur place. Ce ne sont que des acteurs sénégalais... toute la famille. Et l'épouse que joue la femme d'Hakim est très très belle. C'est une super actrice.

Propos recueillis par Laurence Salfati et Olivier Bachelard

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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