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INTERVIEW

CAPITAINE THOMAS SANKARA

Christophe Cupelin

C’est dans la tristement célèbre rue de Charonne que nous avons retrouvé Christophe Cupelin. L’émotion est encore palpable, les stigmates toujours visibles. Forcément, l’actualité est évoquée, en particulier « ces jeunes désœuvrés » qui partent pour commettre l’irréparable…

© Vendredi Distribution

C’est dans la tristement célèbre rue de Charonne que nous avons retrouvé Christophe Cupelin. L’émotion est encore palpable, les stigmates toujours visibles. Forcément, l’actualité est évoquée, en particulier « ces jeunes désœuvrés » qui partent pour commettre l’irréparable. L’œil humide, le réalisateur se souvient d’une époque où les révolutions romantiques étaient réelles, où l’on ne faisait pas exploser des bombes pour exprimer sa haine de l’Occident. Le ton est solennel, l’homme, militant depuis toujours, est aujourd’hui désabusé, fatigué par ses combats et meurtri comme nous tous.

Doucement, la conversation se recentre toutefois sur le cinéma et son premier film, le documentaire "Capitaine Thomas Sankara". Le titre est évocateur, il fait référence au Président du Burkina Faso renversé par un coup d’État alors qu’il prônait l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre l’analphabétisme ou encore la protection de l’environnement dans son pays. Le cinéaste a découvert ce personnage fascinant lorsqu’il était tout jeune, en 1985. Alors adolescent, en colère contre le monde, il trouve dans la révolution burkinabé toute son aspiration à vouloir changer le monde. Et c’est d’abord le collectif qui va l’intéresser, ce mouvement populaire qui a décidé d’arrêter d’attendre pour prendre son futur en main. « J’ai agencé mon récit autour des archives, car je me sens dépositaire de la mémoire orale. J’ai tenté de raconter l’histoire de Sankara en archives comme on raconte son histoire au Burkina Faso. Dans la rue, vous écouterez la même chose que ce qu’il y a dans mon film. »

Refusant les témoignages par souci de fiabilité et par peur de réappropriation du mythe, le réalisateur voulait donner la parole le plus possible à Sankara. Néanmoins, dans un premier temps, une fiction avait été envisagée pour pouvoir dire tout ce qui n’avait pas été raconté dans les livres et archives. Mais le budget était tel qu’il a imposé la forme définitive du film, ce mélange d’archives personnelles et documents récupérés à droite et à gauche. Peu importe que le métrage rêvé n’ait pas pu aboutir, car la mission essentielle a bien été remplie : respecter la mémoire de Thomas Sankara, et permettre à certains de le découvrir ou redécouvrir.

Et dans ce domaine, il y avait beaucoup à faire, en particulier dans le pays même de l’ancien chef d’État où il est écarté des livres scolaires et de l’Histoire nationale. Christophe Cupelin évoque alors comment son film est devenu un objet social plus qu’un objet cinématographique là-bas, se voyant comme un transmetteur et un simple serviteur de Thomas Sankara. « J’ai fait le job » aime-t-il résumer le sourire au coin des lèvres. Les minutes défilent, le cinéaste nous raconte plusieurs anecdotes sur le Capitaine, le plaisir qu’il avait à se déguiser en civil pour être au plus proche de la population, le langage simple qu’il employait pour galvaniser les foules, sa manière si moderne de gérer l’outil de communication.

La part d’ombre du personnage, les prisonniers politiques, les exécutions et sa relation ambiguë avec Kadhafi sont retracés, mais rapidement le cinéaste préfère revenir sur les nombreuses qualités du personnage. « C’était trop rapide, c’était trop moderne. Il avait raison, et il faisait ainsi peur à tout le monde. Sankara n’était pas là pour profiter de la vie, boire du champagne, il travaillait 24h/24, était totalement dévoué à sa cause. Personne n’a pu reprendre son flambeau parce que personne ne peut avoir autant d’engagement que lui. »

Si l’on débat plus de la personnalité de ce militaire que des éléments cinématographiques de son documentaire, c’est parce que les deux sont trop intiment liés pour Christophe Cupelin. Le cinéma, celui qu’il aime et regarde, est un cinéma engagé, et de facto intimement politique. Difficile de faire une comédie lorsqu’on préfère s’engueuler avec Sankara, être un prisonnier politique au Burkina Faso que de travailler pour Nestlé. Il a ainsi choisi de conclure son premier métrage par le leg absolu laissé par Thomas Sankara, le nom donné à l’ancienne Haute-Volta. « Que vous soyez pro-Sankara ou contre Sankara, ce n’est pas important, ce qui compte, c’est que le pays s’appelle le pays des hommes intègres. »

La conversation se finit sur l’après, sur comment passer à un autre film après avoir porté celui-ci pendant 25 ans. La réponse est hésitante, à l’image des doutes que le réalisateur ressent aujourd’hui. Il aimerait continuer à raconter le Burkina Faso, pensée qui l'amènera à aborder la situation actuelle de ce pays pour qui il avait tant d’affection. Mais voir cet État en perpétuel déclin, sombrer dans un manichéisme qui aboutit sur une certaine forme de racisme attriste peut-être trop l’homme derrière la caméra. Dès qu’il est question de filmer, la pensée politique n’est jamais bien loin chez Christophe Cupelin.

Christophe Brangé Envoyer un message au rédacteur

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