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INTERVIEW

EXILS

C’est dans l’un des salons du Hilton que nous reçoivent Tony Gatlif et Lubna Azabal. Le premier, d’abord plutôt fermé, se détend rapidement avec les premières questions, et fait preuve d’un bel aplomb. La seconde, toute sourire, derrière une attitude plutôt réservée, s’investit avec charme …

© Pyramide Distribution

C'est dans l'un des salons du Hilton que nous reçoivent Tony Gatlif et Lubna Azabal. Le premier, d'abord plutôt fermé, se détend rapidement avec les premières questions, et fait preuve d'un bel aplomb. La seconde, toute sourire, derrière une attitude plutôt réservée, s'investit avec charme et volonté dans l'interview. L'ombre du prix de la mise en scène cannois plane.

Un journaliste demande à Tony Gatlif qui avait le plus besoin de la quête que raconte le film, ses personnages, ou lui même ? « Bien sûr c'est moi » répond-t-il, mais les personnages le prenaient en quelque sorte par la main. Il n'a pas été facile pour lui de retourner au pays, après plus de 40 ans d'exil. Il y avait là un gros risque de déception, car on part forcément avec une image dans la tête. D'ailleurs la plupart des exilés ne retournent jamais au pays pour cette raison.

Le réalisateur indique qu'il s'est forcément choisi un pays de substitution. Pour lui, c'est le Sud, la méditerranée, parce qu'on retrouve dans ces régions là des images (les oliviers…), ou des gueules. Quand on retourne au pays, qu'on arrive, il y a forcément une émotion, on cherche des traces (des routes ou des gens). Mais il dit que « le pays vous a oublié », et l'on devient alors un étranger de partout.

Comme dans tous ses films, les frontières disparaissent. Pour lui, il n'y a pas de différence entre les sortes d'exils, qu'ils soient politique, économique ou lié à la guerre. C'est au fond la même douleur, la même tragédie. Ses personnages se lancent dans une quête, au travers de ce road movie. Au début, ils sont en déprime, car ils ne se reconnaissent pas dans leur société. Aller quelque part, pour eux, c'est un peu un espoir de vie.

Au pays, on parle des gens qui viennent « chercher le souvenir », on les respecte. Ainsi, la scène où les personnages sont accueillis est des plus réaliste. Dans la boîte qu'ouvre Romain Duris, il y a l'histoire de ses parents, et finalement, pour le réalisateur, c'est uniquement cela l'Algérie dans son film. Car il ne s'estime pas légitime à raconter l'Algérie moderne.

Lubna Azabal indique que la quête est autant aboutie pour son personnage que pour celui de Romain Duris. Ainsi, elle apprend à partager, à regarder, écouter et accepter. Au cours de voyage, elle connaît une sorte de guérison, en apprenant à vivre avec les autres. Pour la scène de la transe, symbole de ce changement, l'actrice a rencontré des femmes, les a observées dans leurs mouvements, mais s'est finalement complètement laissé aller lors du tournage.

Quand on l'interroge sur le symbole du walk man, Tony Gatlif répond que chacun a sa propre musique. Au début du film, les personnages emmurent les clés de leur appartement. Ils n'emmènent que leur musique. Ainsi, les pays changent, mais pas la musique.

Avant de tourner, ou même de proposer son film, Tony Gatlif travaille énormément son scénario. Car, nous indique-t-il, il y a tellement de lecteurs, à tous les niveaux, y compris une trentaine rien que pour l'avance sur recettes. Cependant, le film retrouve une vérité dans l'approche du scénario et de la mise en scène, lors des grosses répétitions qu'il a l'habitude de mettre en place.

Le tournage en Algérie s'est plutôt bien déroulé, dans un pays transfiguré par le tremblement de terre. Lubna Azabal ajoute que la scène où une femme l'interpelle à cause de sa robe légère a été reprise mot pour mot d'une remarque qui lui a été faite. Le réalisateur l'a adaptée façon documentaire, en lui mettant une djellaba, et en la faisant réagir sur le vif, d'où le « je ressemble à une sorcière ».
Côté mise en scène, le réalisateur a choisi de filmer un plan entier en reflet dans une flaque d'eau, ou dans l'eau du puit, car la jeune femme est alors à fleur de peau. Il avait besoin qu'il explique pourquoi il va là bas, et c'est là l'endroit intime qui se prêtait à cette explication. Filmer au travers de la flaque, ça n'est pas frontal, c'est comme si le réalisateur n'était pas là. Tony Gatlif précise qu'il en est de même pour l'utilisation fréquente du cadre dans le cadre (l'arrière du camion, la fenêtre dans les ruines…), c'est une manière de s'effacer derrière l'objet filmé.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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