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ZAMAN DARK

Au pays du désarroi, manger ou être mangé, telle est la question ?

Dans un Liban au bord du gouffre, un couple tente de survivre. Khattar et Anaïs ont du mal à se loger et à manger. Dans leur maison insalubre, ils vont commencer peu à peu à consommer de la chair humaine. Mais combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ?

Comment parler du long métrage "Zaman Dark" sans évoquer le cinéaste derrière ce projet ? Christophe Karabache est né au Liban pendant la guerre civile fin des années 1970 et s'intéresse alors très vite au cinéma et intègre diverses écoles et formations autour du monde de l’image à Paris. Dès son premier court métrage, "Tout va mieux" en 2009, où l’on suit une kalachnikov retraçant le parcours de la guerre civile au Liban, on remarque très vite un point de vue singulier et une appétence pour la dénonciation vis-à-vis de son pays d’origine. "Zaman Dark" s’inscrit, en tant que 11ème long métrage de son auteur, dans une véritable continuité thématique et formelle de l'œuvre du bonhomme.

Dès lors la parabole se fait de façon assez limpide et de voir ce couple recourir à leurs plus bas instincts pour survivre dans un pays qui ne leur donne même plus cette chance, a de quoi saisir les tripes. Leur « maison », ou du moins ce qu’il en reste, reflète à elle seule l’état général du pays : en ruines. Aidé par une caméra sensible, proche des corps et des détails, le cinéaste nous embarque facilement dans ce monde en perdition où plus rien ne semble vouloir y vivre. Ce n’est pas pour rien que le film s’ouvre sur des inserts d'éléments naturels en décomposition. La métaphore a le mérite d’être claire et la mise en scène utilise des motifs compréhensibles de tous : Khattar, le mari, qui ne cesse de lire des bandes dessinées Superman (ce qui permettra une pic de sa part sur pourquoi avoir « libanisé » le nom de Clark Kent ?) comme pour signifier d’un idéal autant masculin que providentiel qui viendrait le libérer de sa propre condition.

Signifions l’importance du son également, et très vite on sent que le cinéaste préfère nous emmener sur les terrains de films presque expérimentaux, plutôt que dans le cloud avec une narration au schéma classique. La bande sonore (plus que musique à proprement parler) composée par Michel Duprez et Gwenaël Mario Grisi apporte des sonorités dissonantes faites de bruits métalliques, de grincements et de déflagrations. Expérience sensorielle et visuelle, l’auteur ne se plie pas aux règles classiques et tente de raconter son film avant tout en images. "Zaman Dark" est à vanter pour cette ambition dont il fait preuve et l'exigence qu’il convoque chez le spectateur.

Et même si on apprécie ce genre de direction, pour nous le grand regret vient majoritairement du montage. Le film est alors bien trop long pour son propre bien et les effets clipesques (les flashs blancs accompagnés d’un son assourdissant, les images accélérées, les focales bien écrasées sur le visage d’Anaïs) n'arrangent pas l’affaire. Le film a pourtant opté pour une mise en scène posée, esthétique sur ses inserts et avec l’envie de faire durer son plan. Hélas, il oublie de remplir son cadre, de le rendre intéressant par d’autres éléments, et on se retrouve alors face à des scènes assez similaires qui se succèdent, filmées de la même manière et qui ont une fâcheuse tendance à s’étirer plus que de raison.

Le message se retrouve alors martelé à la tronche du spectateur, ce qui en devient agaçant vu le manque vraisemblable de confiance du réalisateur dans son auditoire. Nous ne sommes pas étonnées qu’Anaïs, qui en plus d’être anthropophage, par défaut subit des effets secondaires de son ancien métier de chimiste, aille très mal, mais le montage et la mise en scène en font tellement, que tout commence à paraître artificiel. Ce n’est pas faute au duo d’acteurs principaux qui s’en donne à cœur joie, l’ensemble pêche par ce trop plein d'éléments rajoutés en post production qui discrédite en partie le film et le rend paradoxal dans son approche. Minimaliste et grandiloquent. Dépouillé, mais pourtant plein à craquer.

Alors oui, le commentaire politique est saisissant, mais on aurait aimé que Christophe Karabache rende le tout plus percutant, moins amorphe, artificiel et redondant. Et c’est tout le paradoxe de la démarche : on sent l’envie de coller au réel de part ses décors, ses thèmes, mais le montage vient un peu tout anéantir. Même si on comprend l’envie de proposer quelque chose qui serait plus de l’ordre de l’expérience, on sent un film qui finalement n’utilise que des effets faciles et outranciers pour arriver à ses fins. Dommage, car l’idée d’un Liban version cauchemar où tout paraît désert et hors du temps nous a embarqués sur sa première partie, mais n’a pas su tenir son langage thématique et formel alignés, malgré une fin qui retrouve un peu de mordant. Soulignons quand même la démarche d’affronter des sujets comme l’après guerre civile, la faillite autant d’un pays que celle d’un couple, le désert émotionnel et sexuel engendré, de façon singulière et unique, tout en mettant en avant un pays un peu oublié par nos cinémas occidentaux.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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