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WRONG COPS

Un film de Quentin Dupieux

Le réel : une absurdité à part entière

Des flics au comportement malsain et dérangé surveillent les rues d’une petite ville de Californie. L’un organise en secret un trafic de drogue, un autre tente de percer dans la musique électronique, un troisième élabore un odieux chantage en vue de récupérer une grosse somme d’argent, etc… Un quotidien rythmé par l’absurde et l’humour noir.

Aller voir un nouveau film signé Quentin Dupieux, c’est un peu comme monter dans un manège un peu dingue dont on se demande sans cesse à quel moment il va tomber en panne. C’est en tout cas le constat qui peut désormais s’imposer après quatre films totalement fous, du moyen-métrage "Non-Film" au bizarroïde "Wrong" en passant par un "Steak" à point et le caoutchouteux "Rubber". Le style du bonhomme est désormais si identifiable que l’on pouvait à la longue se sentir en terrain connu à chaque nouvelle expérimentation, et c’est précisément de là que le doute finissait par naître. Il y a un an et demi, "Wrong" révélait les limites du système Dupieux en collant à nouveau une quantité astronomique d’absurdités au cœur d’une intrigue plus fluide et mieux construite, mais dont le réalisateur n’avait visiblement pas grand-chose à faire. Un décalage gênant, égaré entre un surréalisme trop répétitif et une forme d’écriture automatique multipliant les pistes narratives qui ne menaient nulle part. Dupieux allait-il finir par se mordre la queue à force de tourner en rond dans son théâtre du portnawak ? Avec "Wrong Cops", pensé au départ comme un simple court-métrage de promo pour son nouvel album conçu avec Marilyn Manson, il n’offre aucune réponse figée. Mais s’il relève malgré tout la barre en délaissant pour de bon toute fluidité narrative au profit d’un puzzle bien barré, il signe aussi paradoxalement son film le plus accessible.

Pas de narration fluide, donc. Ici, on est dans un pur film choral, centré sur plusieurs flics d’une petite ville de Californie, et comme on peut le supposer, rien ne va être logique dans cette histoire : tout vire au délire space avec plein de trucs bizarres qui surgissent sans prévenir et de personnes qui réagissent comme si tout était normal. Ne comptez pas sur nous pour en révéler davantage, on vous laisse la surprise du visionnage. Le très bon point, c’est que contrairement à "Wrong", cette structure narrative évoque davantage celle d’un film à sketches dont chacun viendrait s’ajouter aux autres pour composer un vaste puzzle de l’absurde, à la fois solide dans son fond et cohérent dans sa forme. Mais surtout, Dupieux ouvre enfin son univers barré au plus grand nombre en y faisant entrer un intrus jusque-là banni : le réalisme.

Entièrement focalisé sur le quotidien de ses personnages de flics barrés et parfois très malsains, dont les diverses préoccupations s’inscrivent malgré tout dans le contemporain (de la misère sexuelle aux rapports sociaux pourris par l’argent, en passant par la quête de célébrité), Dupieux se coltine pour la première fois au réel sans pour autant se restreindre à le rendre aussi barré que possible. Le cinéaste base même toute sa mise en scène sur le renversement perpétuel des conventions et des modes, allant ainsi jusqu’à inverser la distinction réalité/absurde. À titre d’exemple, le fait de pouvoir expliquer rationnellement la plupart des événements (dont un suicide bien sanglant) ou même de voir tout simplement Marilyn Manson jouer ici sans maquillage gothique procure une drôle de sensation, comme si le retour au « normal » devenait tout à coup source d’inquiétude. Une idée qui s’incruste un peu partout dans le film, jusqu’à un final cintré sous forme de fiesta alcoolisée dans un cimetière. À croire que pour un type comme Quentin Dupieux, la réalité est largement plus absurde que tout ce qu’il pouvait inventer auparavant. En cela, il s’impose bel et bien comme le David Lynch français, et son futur projet intitulé "Réalité", tourné avec un budget plus important avec Alain Chabat et Jonathan Lambert, promet donc une nouvelle étape potentielle dans l’optimisation de son style. On croise les doigts…

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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