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UN MILLIER D'ANNEES DE BONNES PRIERES

Un film de Wayne Wang

Une double confrontation, tantôt émouvante tantôt drôle

Un vieux Chinois, M. Shi, débarque aux États-Unis pour rendre visite à sa fille, émigrée depuis douze ans et qu’il n’a pas revue depuis. Les retrouvailles ne sont pas faciles et M. Shi va aussi devoir s’adapter à une culture qu’il ne connaît pas...

Avec sobriété, mais sans excès d’austérité, Wayne Wang délivre une touchante chronique sur le déracinement et les rapports père-fille. En se focalisant surtout sur le père, il nous permet de comprendre ce qui sépare ce vieil homme de la fille qu’il retrouve et de ce pays qu’il découvre. Cette double confrontation introduit deux tonalités différentes dans le film. La relation avec sa fille prend une tournure plutôt dramaturgique, mais sans appuyer sur le pathos. On sent une tension croissante entre les deux personnages, au fur et à mesure que lui essaie de se rapprocher de sa fille alors qu’elle a de plus en plus tendance à le fuir. On ressent la souffrance que les deux éprouvent, leur détresse dans leur incapacité à communiquer et à comprendre l’autre. Les années de séparation, et le passé familial que l’on apprend progressivement, ont construit un mur de silence entre les deux.

Pour rendre plus dommageable cette incommunicabilité, Wang introduit un paradoxe : alors qu’aucune barrière de langue ne semble pouvoir entraver les discussions avec sa fille, M. Shi arrive pourtant à mieux communiquer avec les autres personnes qu’il croise, malgré ses lacunes en anglais. Sa rencontre avec une autre expatriée, une vieille dame venue d’Iran qui maîtrise aussi peu la langue de Shakespeare que lui, est d’ailleurs la plus fructueuse. Il s’instaure entre eux une certaine complicité et une compréhension mutuelle. Cette relation constitue une sorte de pont entre les deux aspects du film, non seulement car il lui parle de sa fille et s’interroge sur ses capacités de père, mais aussi car le ton de ces séquences est à la fois émouvant et drôle.

En effet, Wang parvient à faire cohabiter deux humeurs, comme pour introduire des respirations et rendre plus soutenables les tensions père-fille. C’est donc surtout dans les autres rencontres que le côté humoristique est mis en avant. Wang tourne en dérision la confrontation des cultures et fait intervenir des personnages secondaires volontairement décalés ou caricaturaux ; une jeune chômeuse en bikini dont l’exubérance gêne le vieux Chinois, un brocanteur mystico-arnaqueur, un ex-membre de la CIA prônant des solutions radicales, ou encore deux mormons faisant du porte-à-porte, pour LA scène la plus mémorable du film où Wang ridiculise les jeunes croyants face à la sagesse et l’expérience de l’ancien maoïste – sans tomber non plus dans la propagande communiste qu’il tourne aussi en dérision dans une autre séquence.

Au final, l’histoire tient la route et explore un morceau passionnant d’humanité.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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