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SEMAINE SAINTE

Un film de Andrei Cohn

Les mécanismes de l'exclusion

Début du XXe siècle. Aux abords d’un petit village roumain, Leiba, juif, tient une auberge, proposant le gîte et le couvert aux voyageurs comme aux gitans de passage. Constatant l’incapacité de Gheorghe, son employé, souvent alcoolisé, à effectuer correctement son travail, il décide de le congédier. Mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille, et au lieu de se faire régler son solde, s’en va au village, lui refaire sa réputation. Les tensions ne s’arrêtent pas là et il promet de venir la nuit de Pâques, pour se venger…

Adapté de Un Cierge de Pâques de Ion Luca Caragiale, classique de la littérature roumaine, "Semaine Sainte" est un film choc, revenant sur les racines de l'antisémitisme, ancré à dans la haine de l'étranger et des personnes différentes, la religion et les superstitions, les réputations mal placées et la jalousie. Autant de maux d'une micro-société (ici un village) qu'Andrei Cohn a la bonne idée de mettre à distance, se concentrant sur le quotidien de Leiba et sa famille, sa volonté de bien faire (son travail comme le renvoi de son employé...) et ce lieu de passage qu'est par essence son auberge.

Débutant son film sur l'agression d'une femme enceinte au village, sa robe étant arrachée, décrivant ainsi un possible effet de meute, l'auteur ne situe pas vraiment cette scène dans le temps, par rapport au reste de son histoire, posant ainsi le climat de délation et de danger pour ceux qui ne sont pas dans la norme. Les dialogues entre clients viennent ensuite renforcer ce climat, exprimant la haine des voleurs et des criminels (souvent juifs ou gitans) et la croyance de leur reconnaissance par des malformations ou une pilosité excessive, ainsi que la considération de la femme comme tentatrice ou le poids des superstitions (ne pas travailler un jour de fête, ne pas tuer la poule et les poussins le même jour...). Une manière de mettre le doigt sur les poids respectifs du patriarcat et de la religion au sein d'une société bien peu tolérante.

A partir d'une altercation avec l'employé de l'auberge, chrétien, à quelque jours des fêtes de Pâques, les menaces commencent et la situation va dégénérer progressivement. Plainte, médisance, mensonge, extorsion, coupure d'approvisionnement, détournement de clientèle, contraintes, dégradations, agression, tout y passe, dans une tension qui ira crescendo. Andrei Cohn, par un savant jeu de suggestion et de hors champs, une belle utilisation du cadre dans le cadre, marque l'aspect cerné de son personnage principal, empêtré dans un sentiment de danger, et soucieux de protéger sa famille plus que sa réputation. Offrant de rares respirations, par un moment de complicité entre mari et femme, ou par de superbes plans sur un bac qui s'engage dans une traversée au milieu des roseaux ou sur la brume au dessus de l'eau. Se terminant par l'action désespérée d'un homme acculé, faisant face de plus à un coup du sort, le film se conclue intelligemment sur une image hautement symbolique de la situation à venir.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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