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SAMBA

Pas si intouchables...

Sénégalais en France depuis bientôt plus de dix ans, Samba accumule les petits boulots dans l’attente de pouvoir obtenir ses papiers et décrocher un travail de cuisinier. De son côté, Alice tente de se reconstruire à la suite d’un burnout en faisant du bénévolat dans une association d’aide aux sans-papiers. Les deux vont se croiser, s’attirer l’un vers l’autre, comme si le bonheur était encore possible pour eux…

Comment gérer l’après-"Intouchables" ? Comment passer après un tel phénomène en vue de surprendre et de ravir tous ceux qui avaient fait un triomphe à cette chouette comédie (l’une des plus réussies en France depuis un bon moment) ? Inutile de s’attendre dans cette critique à une réponse claire et précise, parce que ça ne nous avancerait à rien de tenter quelques hypothèses. La raison est simple : la patte du duo formé par Eric Toledano et Olivier Nakache est désormais identifiable, donc sans surprise potentielle. En seulement quatre films où la très bonne surprise succédait toujours à un film ventre mou (et vice versa), les deux réalisateurs ne se sont attachés qu’à exploiter le ressort le plus galvaudé de la comédie américaine (en gros, des contraires qui s’affrontent pour ensuite se rejoindre) dans le but de faire vibrer une dévorante fibre d’entraide et d’humanité, si possible avec une bonne grosse dose d’hilarité pour que la guimauve se transforme en dessert quatre étoiles. Dans le cas de "Samba", pas de chance : celui-ci redevient une guimauve, agréable au goût mais trop collante. Et sur le fond, la fraîcheur d’"Intouchables" a perdu un peu de sa superbe.

Comme avec la plupart des comédies populaires qui cartonnent en Hexagone, juger un film comme "Samba" ne pourra sans doute se faire qu’au travers du schéma suivant : hurlements de joie pour ceux qui veulent du baume au cœur sans risque, moue boudeuse pour ceux qui quêtent le point de vue d’un cinéaste au service d’un décorticage minutieux des êtres et des sentiments. Dans notre cas, ce serait plutôt le grand écart entre les deux voies. Le postulat d’"Intouchables" est à nouveau décliné, à savoir le début d’une relation (ici amoureuse) entre deux êtres que tout semble opposer, qui plus est avec un regard peu joyeux sur la France contemporaine (la situation des sans-papiers, la compétitivité au travail, etc…). Sauf que les deux réalisateurs n’ont pas esquivé la gentillesse programmatique de ce genre de scénario. En général, pour mieux réveiller les esprits à travers une comédie sociale, rien de mieux que d’en torpiller les normes, quitte à jouer la carte de l’insolence ou de la provocation (Chaplin et Wilder l’avaient déjà bien compris). "Intouchables" en donnait parfois le pouls, avec des scènes qui tapaient souvent très fort sur la société et faisaient presque rire jaune. Très peu de ça dans "Samba", tant il est évident que les réalisateurs, sans doute désireux d’être plus sérieux et moins légers qu’avant, n’ont voulu froisser personne et rester dans une posture sécurisante.

Il y a aussi un autre détail qui coince : l’affiche, uniquement focalisée sur la mise en valeur de ses quatre têtes d’affiche, identifiable comme telles et non en tant que personnages. Comme si, pour Toledano et Nakache, leur seule présence conditionnait la tenue globale du résultat, au détriment de tous les autres éléments d’un film (décor, contexte, thématique, mise en scène, psychologie…). Assez logique au vu d’un film finalement ni tordant ni déprimant, comme coincé entre deux tonalités qu’une trame narrative en carton ne parvient jamais à équilibrer, et dans lequel les personnages peinent à exister. Ainsi donc, jusqu’au bout, les beaux yeux d’Omar Sy ne seront là que pour faire craquer une Charlotte Gainsbourg en mode « je suis timide mais je peux exploser », Tahar Rahim fera le p’tit bôgoss magouilleur qui lâche ses répliques avec un sourire Colgate, et Izia Higelin s’enfermera jusqu’au bout dans son rôle de copine de travail au franc-parler mitraillette. Que des visages connus qui se sourient et se regardent, figés dans leur bonté et identifiables dès leur première apparition dans le cadre, mais qui n’évoluent jamais comme le seraient de vrais personnages de cinéma.

Face à ce genre de bilan, on devrait donc faire la grimace. Mais non. On résiste quand même, sans se forcer. Parce que Toledano et Nakache, quoi qu’on puisse leur reprocher, ont une arme en béton armé qui nous met encore à genoux : un art du tempo qui dévaste tout. Leur maîtrise technique n’est plus à démontrer (l’excellent plan-séquence d’ouverture forme en soi un raccourci des deux facettes de la société d’aujourd’hui), leur écriture diaboliquement ajustée sait injecter du rythme à une situation dialoguée, et les piques d’humour gonflé lancées ici et là au détour d’une conversation font sans cesse mouche. Face à tant de cinéastes français qui continuent de penser qu’une narration en voix off suffit à remplacer un scénario, qu’un calembour est très cinégénique ou que la mise en scène est un plat alsacien, ce tandem en deviendrait presque salutaire. Alors, certes, en nous invitant dans cette "Samba", ils ont voulu sans doute se montrer trop gentils à défaut de se montrer audacieux. Mais comme ils savent dissimuler leurs lourdeurs par une petite musique qui fait toujours son effet, aucune raison de ne pas entrer avec eux dans la danse.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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