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SAINT OMER

Un film de Alice Diop

Un film au procédé profondément rébarbatif

Rama, romancière, semble préoccupée. Elle se rend au procès de Laurence Coly, femme d’origine sénégalaise, au tribunal de Saint-Omer, afin de suivre l’affaire. Au fil des échanges, c’est son propre être, son destin de future mère et son lien avec sa génitrice, qu’elle va relier au portrait qui est fait de l’accusée…

Saint Omer film movie

Autant le dire d’emblée, il faut être extrêmement attentif pour comprendre que Rama, la femme qui nous est présentée rapidement en début de film, sorte de double de la réalisatrice elle-même, n’est pas l’une des jurés potentiels convoqués au tribunal pour être choisis ou révoqué, mais une romancière venue écouter (elle ne prend pas de notes...) le procès de cette femme, Laurence Coly, qui aurait déposé son bébé sur la plage, laissant les vagues l’emporter. Et un sentiment ne nous quittera pas de tout le métrage, impression qu’Alice Diop, tant concentrée sur son concept (donner à un personnage de femme noire le droit d'exister dans son intimité) et ses messages, se soucie finalement bien peu du spectateur, Car il faudra justement à celui-ci sans doute avoir lu au préalable l’intégralité du dossier de presse ou diverses interviews de la réalisatrice pour parvenir à saisir l’ampleur des intentions de celle-ci, et pour percevoir au-delà de la simple histoire de transmission suggérée par le dernier plan (la romancière, enceinte, qui tient la main de sa mère), quelque chose d'encore plus universel.

En voulant reconstituer minutieusement le procès (elle s'inspire de l'affaire Fabienne Kabou, dont elle reprend fidèlement une bonne partie des minutes) et en choisissant de ne nullement développer le personnage de l’observatrice, réduite à un visage pendant 80% du film, Alice Diop ne parvient ni à faire passer son message sur la représentation de la femme d’origine africaine dans un regard blanc qui la simplifie, ni à provoquer une réelle émotion liée aux angoisses du personnage de Raùa, ayant peur d’hériter du malheur de sa mère ou d’en reproduire des éléments vis à vis de l'enfant qu'elle porte. Certes les deux interprètes de Rama (Kayije Kagame, au regard pénétrant) et Laurence Coly (Guslagie Malandane, confondante de froideur) ne déméritent pas, pas plus que celle de la juge (Valérie Dréville), et la projection sur l’accusée de tous les attendus occidentaux (attente d’une expression en français moins parfaite, croyance en le vaudou, la malédiction ou la sorcellerie...) est lisible entre les lignes, mais le dispositif, réduisant les prises de vue à pratiquement deux plans (un sur la juge, un sur l’accusée, agrémentés de quelques plans sur une nuque, le regard d’une personne du public, ou de certains brefs témoins) s’avère vite profondément rébarbatif.

A vouloir faire deux films en uns (démystifier à la sauce documentaire une Médée devenue femme complexe, ou parler de la reproduction du passé et de la charge de devenir mère), Alice Diop ne réussit ni l’un ni l’autre, et le fait que le film ait obtenu le Grand Prix du jury au festival de Venise est surtout un signe de l’époque, que le sujet de fond est plus important que la forme et l’accessibilité du projet. Quant au Prix du meilleur premier film, obtenu également à Venise, il laisse d’autant plus dubitatif qu’Alice Diop a déjà réalisé deux longs métrages documentaires, et que le jury de la compétition a primé un documentaire... comme meilleur film. Il faudrait donc savoir si le documentaire est considéré un film à part entière ou non, et pas seulement quand cela arrange pour mettre en avant une œuvre aux aspects politiques qui s’inscrit dans l’air du temps. Le fait que le film ait aussi été sélectionné pour représenter la France aux Oscars comme potentiel meilleur film international est significatif des mêmes symptômes, et on se demande bien pourquoi le comité de sélection a été entièrement remanié, si c’est pour arriver à ce choix là.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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