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RÉALITÉ

Un film de Quentin Dupieux

Film barré et affres de la création

Une scène de chasse au sanglier, qui s’avère avoir une cassette vidéo dans les intestins. Le tournage d’une émission culinaire, où le présentateur ne peut s’empêcher de se gratter. Une petite fille curieuse prénommée Reality, qu’un réalisateur filme, attendant qu’elle s’endorme pour « de vrai »…

Quentin Dupieux, déjà auteur de films aux pitchs bien barrés, dont « Steak », histoire d'une bande caïds liftés, « Rubber », récit du parcours vengeur d'un pneu amoureux, ou encore « Wrong cops », portraits de flics pourris ou obsédés, explore cette fois-ci les méandres de la création dans un film-puzzle, où la notion de temporalité finira par perdre tout son sens. La base principale de l'histoire ? Celle d'un producteur (Jonathan Lambert), qui accepte de produire le film d'un apprenti cinéaste (Alain Chabat), sur des télés méchantes qui enverraient des ondes débilitantes sur les gens, à condition que celui-ci lui ramène le gémissement parfait, celui qui lui rapporterai un Oscar...

Questionnant le processus de création, et finalement son absence de rationalité, Dupieux en profite pour critiquer la télévision et le milieu du cinéma. Non seulement il fustige le culte de l'artiste roi (le réalisateur inspiré, mais qui a tendance à laisser un peu trop longtemps la caméra tourner, pour capter précisément un moment "réel"), la volonté de contrôle absolu des producteurs (le désir ici de diriger jusqu'à la manière dont son invité fume…), leur soif de sensationnel et de souffrance à l'écran, mais il nous plonge au coeur même de l'inspiration permanente du scénariste-réalisateur, dont l’œuvre envahit jusqu'aux rêves.

Dupieux lui-même, contrairement aux naturalistes, assume non seulement le côté fictif des choses, mais va jusqu'à jouer avec les composantes mêmes de la création cinématographique. Il fait ici se rencontrer télévision et cinéma, au travers d'une fiction absurde (la recherche du cri parfait !), usant de décors étranges (baraques aux formes étranges, portes immenses…), et de boucles temporelles impossibles. On verra ainsi Chabat regarder son propre film en salle, avant même de l'avoir tourné, ou découvrir quatre autres versions de lui-même dans une autre scène.

Avec différentes paraboles, plus ou moins faciles, tout le monde en prend pour son grade, des producteurs avides, en passant par les scénaristes paresseux ou la course aux remises de prix. Avec "Reality", Quentin Dupieux livre certainement son film le plus complexe mais aussi le plus abouti. Un régal d'humour en apparence absurde, mais qui en dit long sur son propre métier et sur le processus créatif.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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