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PENTAGON PAPERS

Un film de Steven Spielberg

Le prix de la démocratie

Katharine Graham et Ben Bradlee travaillent tous les deux au Washington Post, la première en tant que directrice, le second en tant que rédacteur en chef. L’occasion se présente pour eux de dévoiler un scandale d’État monumental à la suite de fuites de documents classés secret défense et révélant l’ingérence de quatre présidents américains successifs (dont Richard Nixon, alors résident de la Maison-Blanche) sur des affaires très sensibles liées à la guerre du Vietnam. Un dilemme se pose alors : faut-il révéler de tels documents au public au risque de voir s’effondrer leur carrière et leur liberté ?

L’éloge du journalisme et du devoir d’investigation a plus que jamais le vent en poupe à l’époque où l’actuel résident de la Maison-Blanche traite l’information par un amas de fake news, de tweets haineux et de considérations xénophobes. L’existence même de "Pentagon Papers" ne nécessite donc aucune enquête préalable : en renouant avec cette célébration de l’intégrité démocratique et journalistique qui faisait déjà le sel du "Pont des Espions", Steven Spielberg met son cinéma humaniste au diapason de la période de crise qui sous-tend les États-Unis d’aujourd’hui (rien de mieux que de se replonger dans le passé pour évoquer le présent), et tend là encore vers une tradition glorieuse du film politique dont Alan J. Pakula ("Les Hommes du Président") et Frank Capra ("Mr Smith au Sénat") passent encore aujourd’hui pour les cadors. La surprise, c’est qu’en s’intéressant à la réflexion intense d’une poignée de journalistes confrontés à la possibilité – risquée – de révéler au grand jour un scandale d’État, Spielberg parvient à dynamiser l’ensemble et à éviter cette narration bavarde – à base de discussions mollassonnes dans des salons qui sentent la pipe et la naphtaline – qui avait rendu son "Lincoln" plus ronflant qu’autre chose.

Tourné en deux mois dans l’urgence en pleine préparation de l’ultra-attendu "Ready Player One", le film a tout du suspense intense en vase clos, d’autant plus scotchant que le fait de savoir à l’avance l’issue de l’affaire titille parfois les fibres de l’uchronie. Spielberg déballe comme à son habitude un savoir-faire éblouissant qui ne souffre d’aucune forme de contestation (le bonhomme a tellement la caméra vissée aux orbites que tout est pensé en découpage et en mouvements de caméra) tandis que le scénario, d’une richesse adéquate selon les conventions les plus nobles du film-dossier, prend le temps de fouiller en profondeur chaque arc narratif afin de rendre les enjeux limpides au possible. C’est d’ailleurs là que l’on pourra faire – un tout petit peu – la grimace : le didactisme de l’intrigue va bien évidemment de pair avec une absence d’opacité, celle-là même qui rendaient si obsédants et marquants les thrillers politiques d’Alan J. Pakula et de Sydney Pollack. Un léger regret heureusement compensé par un souci d’efficacité qui prend aux tripes, que ce soit lors de simples échanges téléphoniques (celui qui précède la décision finale est d’une précision quasi hitchcockienne) ou de quelques plans mettent en valeur le courage de l’engagement (chaque sentiment de « victoire » a ici une portée viscérale que l’on ressent plus qu’on ne l’assimile).

Concrètement, "Pentagon Papers" peut difficilement se limiter à de la belle ouvrage comme on en voit à la pelle lorsqu’un film hollywoodien – généralement vecteur d’un didactisme primaire – se cale sur l’actualité à des fins contestataires. Il s’agit avant tout d’un éloge (visuel et sophistiqué) de la vérité et de la démocratie au service d’une diatribe sans appel contre l’injustice et la dissimulation. En gros, une mise en scène qui démonte la « mise en scène », ce qui rejoint la définition même du cinéma : la vérité par le mensonge pour mieux tutoyer l’universalité. Que Spielberg ait d’ailleurs osé un plan final en écho direct à celui qui introduira le suspense des "Hommes du Président" tombe sous le sens : ce n’est pas juste une transition vers un film appartenant (chronologiquement) au passé, c’est un appel à renouer avec l’esprit d’un cinéma et d’un état d’esprit qui restent (universellement) connectés au présent et capitaux pour le futur. Un seul mot d’ordre : ne jamais renoncer. Voilà le genre de piqûre de rappel qui fait vraiment du bien.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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