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LES CARNETS DE SIEGFRIED

Un film de Terence Davies

Un homme coincé par son époque, entre vivants et morts

Après avoir intégré l’armée britannique en 1914, Siegfried Sassoon décide de dénoncer les atrocités de la guerre et de devenir objecteur de conscience. Enfermé un temps dans un hôpital psychiatrique écossais, il va commencer à écrire dans le journal de l’hôpital, publier ses pamphlets pacifistes, et réaliser qu’il est possible de concrétiser ses élans homosexuels. Mais dans la société de l’époque, sa non croyance et son mode de vie peuvent difficilement devenir publics…

Longtemps habitué du Festival de Cannes, où il avait présenté ses films majeurs ("Distant Voices", "The long day closes" et "La Bible de Néon"), le réalisateur britannique Terence Davies (77 ans), est ensuite régulièrement passé par le Festival de Berlin, où on a pu voir quelques un de ses films en costumes, tels que "Chez les heureux du monde" avec Gillian Anderson et "Emily Dickinson, A quiet passion" avec Cynthia Nixon, avant d’accompagner sa dernière œuvre "Benediction" en compétition au Festival de San Sebastian 2021, repris en France par Écrans Mixtes à Lyon en mars 2023. Une fois de plus, le temps et les différences de classes ont une bonne place dans celui-ci, rebaptisé "Les Carnets de Siegfried" pour sa sortie en salles. Le metteur en scène y mêle littérature et affirmation de soi, au travers du portrait d’un poète dénommé Siegfried Sassoon, connu pour avoir relaté dans ses œuvres la souffrance des soldats de la Première Guerre Mondiale, mais aussi pour son homosexualité, à l’époque condamnable Outre-manche.

Débutant autour d’un concert de Stravinsky, le début du film évoque en quelques scènes les souvenirs d’adolescence Siegfried, accompagnés en voix-off, revenant sur son enrôlement au travers d’images d’archives et sur son impossibilité à dire au revoir à son petit frère. Apparaît ainsi très vite le rôle politique du poète, déclarant qu’il ne servirait plus et fustigeant la poursuite de la Guerre, ce qui lui vaudra d’être traduit en cour martiale. En profitant pour aborder le traitement des réfractaires est alors passé au crible dans un aller-retour entre sa vieillesse (où il prône de « ne pas pleurer ce qui est perdu ») et souvenirs en apparence éparses d’hôpital psychiatrique (avec d’autres objecteurs), Terence Davies use de plans fixes méticuleux. Ce lieu de courage ou de lâcheté « extrême », selon la voie choisie, sera cependant aussi celui d’une renaissance personnelle, en s’autorisant ses premiers émois, et en s’adonnant à l’écriture dans le journal de l’hôpital. La mise en scène, elle, marquera la triste séparation entre ceux qui retourneront au front et ceux qui resteront, grâce à un superbe cadrage sur le haut d’un filet de tennis, auquel se superpose l’images de deux hommes qui nagent, séparés par cette ligne horizontale.

Élégant, marquant un contraste fort entre la riche décoration des intérieurs bourgeois et les atrocités montrées dans des obsédantes images d’archives qui s’insèrent dans certains passages, le film résonne comme un cri de souffrance d’un homme qui ne peut plus se taire. Un homme qui balancera toute son existence entre élan de liberté amoureux et conscience de sa propre situation de hors-la-loi, comme finalement tant d’autres artistes à l’époque. Imbriquant finalement trois âges du personnage, pour mieux montrer l’exigence de duplicité que provoquait la loi, Terence Davies a confié à Jack Lowden le rôle de cet homme révolté. L’acteur dispose de juste ce qu’il faut de fragilité dissimulée, saisissant les mots comme autant de traits d’esprit utilisés à bon escient. Empreint d’une lancinante amertume, "Les Carnets de Siegfried" se perçoit comme le journal intime d’un homme coincé dans son époque, ses conventions sociales et les « capitulations » qui vont avec, entre la quantité de morts d’une Guerre maintes fois dénoncée et son œuvre qui restera elle, éternellement vivante.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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