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L'INDOMPTEE

Un film de Caroline Deruas

De la théorie déjà domptée depuis longtemps

Axèle et Camille sont deux artistes : l’une est photographe, l’autre est écrivain. Elles se retrouvent à la Villa Médicis, hébergées durant un an dans ce lieu mythique pour les jeunes artistes en devenir. Mais au fil du séjour, le véritable rôle d’Axèle va peu à peu être remis en question. Qui est-elle réellement ?...

Théoriser sur l’Art (oui, avec un grand A) et la création, est-ce vraiment si profond que cela en a l’air ? Cette question, on aimerait ne plus avoir à se la poser, encore plus quand elle intervient au moment de juger des œuvres cinématographiques qui en font l’épicentre de leur sujet. Parce que dans la majorité des cas, le hic est toujours le même : c’est le sujet qui parle, mais c’est la mise en scène – donc la matière première du cinéma – qui se tait. Le premier long-métrage de Caroline Deruas – réalisatrice de courts remarqués et compagne de Philippe Garrel – n’est hélas pas celui qui va stopper la malédiction, bien au contraire. Et pourtant, les intentions étaient belles, ne serait-ce qu’en raison du lieu choisi pour infuser une telle matière réflexive sur la création. Investir la Villa Médicis tombe clairement sous le sens : ce lieu, situé à Rome, est réputé pour héberger de jeunes artistes désireux de perfectionner leur art et de développer leurs projets créatifs. La fascination absolue et revendiquée de Deruas pour ce lieu déborde de l’écran et suffit en soi à faire naître un véritable trouble, diffusé par chuchotements au gré des scènes : les artistes qui investissent la Villa Médicis sont-ils acquis à une liberté totale ou prisonniers de leur art ?

Pour autant, "L’Indomptée" s’écroule avant même d’avoir réellement embrayé dans son versant onirique. Deruas tente bien d’opérer des glissements précis de la réalité vers le rêve (le cauchemar ?), mais à part quelques effets furtifs (des statues qui prennent soudain vie dans la nuit) et quelques afféteries parfois gratuites (des fermetures à l’iris et des filtres rougeâtres pas toujours justifiés), sa réalisation s’en tient à une pure théorie verbeuse où la parole – prononcée ou entendue en voix off – prend le dessus sur la mise en images du subconscient des personnages et le pouvoir d’envoûtement que ce lieu mythique devrait susciter. La liste des références se bouscule d’ailleurs au portillon : décrire le résultat pourrait se résumer à relier la mystique sensuelle d’un Jean-Claude Brisseau avec la mécanisation stylistique d’Eugène Green, le tout dans un contexte de déconnection avec les lois du réel qui évoque presque le huis clos du mémorable "De la guerre" de Bertrand Bonello. Là encore, de la théorie, rien que de la théorie, récitée par des acteurs certes joliment éclairés mais peu habités (on sauvera Jenna Thiam, solaire et gracieuse dans le rôle de cette mystérieuse « indomptée »), où Deruas nous ressort à nouveau le cliché n°1 de tout film sur la création, à savoir l’auteur qui écrit un livre dont le contenu met son présent à elle au centre d’un jeu de correspondances avec le passé. À moins de ne pas craindre ce genre de lapalissade, cet essai ne suscitera hélas que l’indifférence.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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