Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

IL EST DE RETOUR

Un film de David Wnendt

Un Borat à la sauce nazie

Alors qu’il s’est suicidé dans son bunker en 1945, Adolf Hitler réapparaît au même endroit 70 ans plus tard, sans savoir qu’il a fait un grand saut dans le temps. Face à cette Allemagne qu’il ne reconnaît plus, son ambition politique renaît immédiatement. De son côté, Fabian Sawatzki, reporter raté, se dit qu’il a un coup à jouer en tournant un film sur celui qu’il prend pour un humoriste habité par son rôle et développant un second degré mordant, radical et jusqu’au-boutiste…

Sortie le 9 avril 2016 sur Netflix

Peut-on rire de tout ? Voilà l’une des éternelles questions dont les sociétés démocratiques débattent en boucle depuis des décennies. Bien que Chaplin ait ridiculisé Hitler dès 1940 dans "Le Dictateur", rire du nazisme reste une chose délicate depuis la découverte des camps d’extermination, surtout en Allemagne où assumer ce passé est forcément douloureux. « Hitler, c’est un sujet casse-gueule », déclare d’ailleurs un personnage dans "Il est de retour" et on peut notamment se souvenir des polémiques ayant accompagné la sortie en 2004 du film "La Chute", accusé de proposer un portrait « trop humain » d’Adolf Hitler. En adaptant ici le roman satirique à succès de Timur Vermes (même titre en VO comme en VF), le réalisateur-scénariste David Wnendt, déjà rodé au néonazisme qui lui avait servi de sujet en 2011 dans "Guerrière", fait le choix délicat de mélanger fiction pure et vraie caméra cachée à la manière d’un Sacha Baron Cohen. D’une certaine façon, on peut aussi rapprocher le film des démarches de Michael Moore, avec ce personnage qui part à la rencontre de citoyens ou de responsables politiques pour dévoiler leur ignominie ou leurs contradictions à coups d’ironie et de fausse complicité.

Comme dans "Borat", l’équilibre entre fiction et caméra cachée s’avère à la fois efficace et inconstant. Avouons aussi que la portée de certains passages est plus compliquée à cerner pour un spectateur peu familier de la politique allemande : lorsqu’Oliver Masucci, déguisé en Hitler, rencontre un certain Karl Richter, il s’agit bien du vrai vice-président du NPD, parti ultra-nationaliste néo-nazi, alors qu’Ulf Birne, présenté comme le président de ce même parti dans le film, est un personnage fictif dont le nom parodie celui du véritable chef de file du NPD, Holger Apfel (« Birne » signifiant « poire » en allemand, c’est un clin d’œil à « Apfel » dont la traduction est « pomme »). Cet exemple précis montre qu’il est parfois difficile de démêler le vrai du faux dans ce long métrage. On pourrait dire que le film nous pose cette question : combien y a-t-il de potentiels sympathisants du nazisme parmi la population allemande ? Mais ce mélange fiction/réalité a ses limites : le réel devient flou et insaisissable, et on peut ainsi se demander à quel point cette fiction surévalue (ou pas) le danger fasciste.

La fiction, notamment le soupçon d’enjeu romantique, se mêle parfois très mal avec les sujets graves que le film aborde, et le scénario verse régulièrement dans le grotesque, même parfois dans le mauvais goût pour certaines séquences. L’humour est volontairement perturbant et le spectateur a plutôt tendance à rire jaune. Dans les séquences de supposé one-man-show du personnage d’Hitler, la gêne ressentie fait penser à l’anti-humour dérangeant d’Andy Kaufman, dont Milos Forman avait mis en scène la vie et la carrière dans "Man on the Moon". On a donc plus un sentiment de malaise régulier qu’une réelle envie de rire.

Malgré ses nombreux défauts, le film se révèle particulièrement pertinent dans ses réflexions sur l’état de la société allemande et sur l’immonde capacité de certains à oublier, à relativiser ou à accepter le pire (« Les gens ne restent jamais fâchés contre Hitler très longtemps », constate un personnage). Les dialogues sont souvent très incisifs et explicites, mais peuvent être aussi un peu plus allusifs, comme lorsqu’un protagoniste fait remarquer que « le spectateur pardonne presque tout » mais pas « tuer un petit chien ». Implicitement, "Il est de retour" nous rappelle alors que de nombreux nazis ou néo-nazis étaient ou sont végétariens (dont Hitler lui-même) ou végans, et que ce type de conviction est donc loin d’être une garantie d’humanisme ! Le film questionne ainsi l’état d’une société qui s’indigne plus du sort d’un chien que de discours appelant ouvertement à la haine.

Si la mise en scène est peu inspirée dans l’ensemble, elle l’est au moins à la toute fin, qui produit un véritable électrochoc en mettant l’Allemagne – et plus largement l’Europe – face au passé et au présent qui se font malheureusement écho. A minima, "Il est de retour" a le mérite de rappeler qu’Hitler a réussi à séduire une partie du peuple et à s’accaparer le pouvoir en profitant d’un contexte de crises et d’incertitudes (difficile de ne pas faire le parallèle avec notre époque malgré les différences), en multipliant les mensonges et les outrances, mais aussi en utilisant à son profit les médias de son temps (à son époque le cinéma ou la radio, ici la télévision et Internet). L’irresponsabilité et le manque d’éthique des médias et des réseaux sociaux sont aussi pointés du doigt, notamment dans la recherche à tout prix du profit, du scoop ou du buzz. Plus généralement, le film interroge le rôle de chaque citoyen dans l’engrenage infernal qui peut conduire une société à produire ou reproduire le pire. Le personnage incarné par Masucci ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme à la fin : « Vous devez condamner ceux qui ont élu ce monstre ». Le monstre n’est pas seulement dans une figure emblématique comme Hitler, il est aussi collectif…

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

Laisser un commentaire