HORSEHEAD

Un film de Romain Basset

La compagnie des chevaux

Jessica est une jeune fille qui, depuis son enfance, est trop fréquemment hantée par des visions cauchemardesques qui la terrifient, notamment l’image d’une mystérieuse créature à tête de cheval qui la pourchasse dans un but inconnu. Le jour où sa grand-mère maternelle décède, elle revient dans la maison familiale et retrouve ses parents. Peu de temps après, elle attrape soudainement une forte fièvre qui la contraint à ne pas quitter son lit. Elle y voit alors l’occasion idéale de pousser son étude de psychophysiologie des rêves au stade supérieur, dans l’espoir de comprendre d’où proviennent ces visions et quel est leur signification…

Il y a quelques années, à la fin du passionnant making-of du "Pacte des Loups", le réalisateur Christophe Gans évoquait le problème fondamental du cinéma de genre français : se contenter de recycler une imagerie issue en majorité du cinéma de genre étranger – surtout américain – dans le seul et unique but de satisfaire une communauté de fans frustrés, quand ce n’est pas un banal moyen pour quelques jeunes cinéastes de coucher leurs penchants cinéphiles sur pellicule. Un point de vue à la fois intéressant et discutable, puisque la personnalité d’un cinéaste, aussi influencée soit-elle par un grand nombre de films cultes, dévoile sa vraie nature au travers d’un style et d’une mise en scène capable de transcender l’influence en question. Sorti en catimini durant l’hiver 2015, "Horsehead" aurait mérité bien plus qu’une sortie confidentielle, tant il s’impose comme l’un des rares exemples de pellicules fantastiques récentes à avoir su saborder les clichés et détourner les influences à son propre compte.

Au carrefour des univers mentaux respectifs de David Lynch et de Neil Jordan (période "La Compagnie des Loups"), le premier film de Romain Basset ne met pas plus de cinq minutes à inscrire son intrigue dans un contexte ouvertement freudien, où le pouvoir de l’esprit lâche sa pleine puissance dans une série de cauchemars baroques, inquiétants, bombardés ici et là de symboles cryptiques qui sont à même d’influer sur le réel. D’où cette histoire d’une jeune fille qui va jusqu’à utiliser une fièvre subitement contractée pour expérimenter le « rêve lucide », prenant ainsi le contrôle de ses visions cauchemardesques et évoluant dans un monde onirique à la recherche d’une réponse autour du mal qui la ronge. Pour traduire cinématographiquement un tel parti pris, Basset installe d’abord une dichotomie précise entre le réel et l’onirisme, et ce par un jeu habile sur la colorimétrie de l’image, avant de les brouiller progressivement. Et loin de se borner à une simple errance aboutissant à une résolution stricto sensu, l’univers labyrinthique mis en place par Basset et son chef opérateur obéit ici à une toute autre logique : investir un monde onirique, où la sublimation des cadres et l’envoûtement suscité par les perspectives picturales prévalent sur toute autre considération.

Certes, Basset n’est pas Lynch et tend à de rares instants à privilégier la « belle image » sur le pur symbolisme de l’image, comme en témoignent quelques effets de montage à la "The Cell" (dont on sent l’influence planer sur "Horsehead") et une atmosphère baroque renvoyant parfois aux clips vieillots de Laurent Boutonnat. Rien de parasite, cela dit. Si influence il y a, elle serait davantage à chercher du côté de l’horreur italienne, au rayon Lucio Fulci notamment, dont on retrouve ici le goût pour la poésie morbide et l’une de ses actrices fétiches, Catriona McColl. L’exploration de cet univers a cela de fascinant qu’il propose d’épouser la logique du cauchemar, uniquement rythmé par la déviance des motifs au détriment de la raison qui sous-tend leur apparition. Inutile, donc, de chercher dans le film une narration conventionnelle avec un début, un milieu, un climax et une résolution finale. Se perdre dans un film comme dans un dédale est le meilleur moyen de ne jamais en sortir, et de continuer à baigner dans ce trouble bien après que le générique de fin ne se soit lancé – la dernière image du film, volontairement ouverte, va clairement dans ce sens.

Réussite exemplaire du genre, "Horsehead" marque la rétine et l’esprit comme peu de films de genre français ont su le faire. On avouera cependant que l’on pressentait fortement cela, dès le début de la projection, avec la découverte du logo d’une nouvelle maison de production : Starfix Productions. Soit le nom d’un célèbre magazine de cinéma des années 80, pour beaucoup vecteur absolu d’un amour immodéré pour le cinéma de genre et d’un désir affirmé d’en propager la richesse au public le plus large. L’un de ses fondateurs s’appelait Christophe Gans…

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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