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L’HOMME QUI RIT

D'autres misérables

Une nuit de tempête, un enfant dénommé Gwynplaine, est abandonné sur les rochers, en bord de mer, alors que des hommes embarquent en hâte sur un navire. À bord, un mystérieux Docteur, qui lui promet de revenir le chercher... plus tard. Alors que la neige redouble, il extrait une petite fille aveugle des bras de sa mère décédée et tente de chercher refuge dans un village dont aucun habitant ne lui ouvrira sa porte. Sur le point de mourir de froid, tous deux sont alors recueillis par un herboriste. Ce dernier verra bientôt en ce jeune homme et la balafre qui dessine sur son visage un horrible et permanent sourire, une source de revenu pour eux trois, en faisant de lui une bête de foire...

Adapté du roman éponyme de Victor Hugo, le nouveau film de Jean Pierre Améris (« Les émotifs anonymes », « Poids léger ») revêt une facture théâtrale, du fait de décors obscurs, transcrivant les deux univers dans lesquels se déroule l'action : un champs de foire où s'affichent d'autres monstres qui amusent les foules (femme à barbes, nains...), et le château d'un certain marquis, où la simple taille des portes écrase par son échelle les êtres humains qui y évoluent.

Certes Améris a certainement dû voir dans ce récit quelque chose de très actuel, de par l'évocation d'un fossé grandissant entre riches et pauvres, comme entre élites et populace. En effet, la débrouillardise de ces autres misérables décrits par Hugo rejoint leur besoin fondamental - se nourrir au jour le jour-, alors que leurs combines rappellent aussi celles d'un marketing envahissant notre société, où l'image est plus importante que l'être, faisant passer le commerce devant toute autre considération.

Ainsi le personnage de Depardieu, d'abord herboriste, vendra tout d'abord les mèches de cheveux de son étrange protégé, pour « éloigner le mauvais oeil », puis s'improvisera manager, construisant progressivement l'image de cet « homme qui rit » dont il peut vendre la moindre apparition ou louer les services. Mais ce sera sans compter sur la capacité de récupération des plus aisés, toujours prêts à spolier les détenteurs de « bonnes idées ». Rejoignant ici les thématique du « Venus noire » de Abdelatif Kechiche, le film de Jean Pierre n'en atteint jamais l'ampleur émotionnelle, du fait notamment du sur-jeux de Christa Theret, du côté répétitif de la première partie et de l'absence cruelle de souffle.

Reste cependant le portrait d'une noblesse qu'on peut aisément mettre en parallèle avec les financiers qui dirigent le pays et les politiques qui semblent incapables d'influer sur le quotidien des citoyens, perdus dans un système qui les exploite tout en les tenant à distance de richesses concentrées dans quelques mains. L'avertissement lancé à des politiques sourds trouve une certaine résonance contemporaine, soulignant dénis de justice, droit et bien être, tandis que le portrait de la duchesse (Emmanuelle Seigner) et de sa cour, montre bien le mépris des parvenus pour ceux qui voudraient changer les choses. Un état d'esprit parfaitement résumé dans une simple phrase qu'elle prononce envers Gwynplaine : « le monstre que tu es dehors, je le suis dedans ».

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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