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LE GARÇON ET LA BÊTE

Un film de Mamoru Hosoda

Je règle mon pas sur le pas de mon « père »

Ren a fugué de chez lui depuis la mort de sa mère divorcée. Un jour, en essayant de suivre une étrange bête nommée Kumatetsu à travers les ruelles de Tokyo, il apparaît soudainement dans Jutengai, le monde des Bêtes, qui vivent ici séparément des humains. Afin de devenir le seigneur de Jutengai, Kumatetsu propose à Ren de devenir son disciple. Une association qui ne va être de tout repos pour aucun des deux, mais qui va vite prendre des proportions insoupçonnées…

Mamoru Hosoda est-il vraiment le digne successeur d’Hayao Miyazaki ? On avait peut-être été un peu trop vite en balançant cette hypothèse à la sortie des géniaux "Summer Wars" et "Les enfants loups". Non pas que "Le garçon et la bête" soit du genre à trahir les belles promesses qu’un cinéaste aussi inventif avait su cristalliser, mais pour une fois, cette notion d’inventivité – déployée au sein d’un récit clairement archétypal – mérite nuance. Ce à quoi nous avons a affaire aujourd’hui est avant tout une démonstration de virtuosité narrative et visuelle tout à fait honorable, là où les trois précédents films d’Hosoda faisaient le pari d’un déferlement d’inventions visuelles folles. Bref, on sent que le cinéaste s’est cette fois-ci un peu trop reposé sur ses lauriers, et ce en raison d’une intrigue tout ce qu’il y a de plus basique et prévisible.

Avouons-le, les trois premiers quarts d’heure du film provoquent une forte inquiétude. Une fois le postulat de départ posé (deux mondes parallèles séparés : celui des Humains modernes et celui des Bêtes artisanales) et une problématique que l’on anticipe déjà (où réside la part bestiale chez l’être humain ?), voilà que Hosoda catapulte son jeune héros dans le monde des Bêtes pour qu’il suive un entraînement intensif. On se surprend alors à suivre mollement un curieux mix entre "Le voyage de Chihiro" et "Karaté Kid", tout juste épicé de quelques gags culinaires un peu lourdingues (un riz périmé qui fait vomir, une pastèque à bouffer le plus vite possible, etc…) et d’un personnage hilarant de vieux sage qui a l’amusante manie d’apparaître toujours dans le dos de son interlocuteur. Tout cela se suit sans grande jouissance, tant les ficelles utilisées paraissent éculées depuis des lustres et les enjeux semblent archétypaux en diable.

Mais à mi-chemin, les choses s’accélèrent : l’entraînement se voit alors rythmé par des allers-retours permanents entre les deux mondes, qui voient le jeune humain devenir un pré-adulte, nourrir un désir d’apprentissage intellectuel, rencontrer l’amour et se lancer à la recherche de son père. Dans ces moments-là, la thématique campbellienne sur le récit initiatique et l’appel de l’aventure s’étoffe d’un regard universel sur la quête identitaire, qui fait monter l’émotion de façon subtile et replace ainsi le fantastique au rang de prisme symbolique. Chez Hosoda comme chez Miyazaki (oui, encore lui…), il est question de thèmes universels, tels que la famille, l’éducation, le rapport intime à la nature, la découverte de l’inconnu ou la démarche voltairienne (en gros, « cultiver son jardin »). Dans "Le garçon et la bête", l’entraînement réciproque entre un gamin impulsif et une bête immature (monde des bêtes) et les retrouvailles père/fils (monde humain) ne servent qu’une interrogation : par quelle voie est-il possible d’atteindre la maturité ? Dans les deux cas, le fils et le père sont tous deux concernés, et l’un doit apprendre de l’autre – belle approche.

La semi-déception soulevée par le film tient au fait que Hosoda, loin de faire preuve d’audace et de nouveauté dans l’exploitation de ce thème, s’en est tenu à des codes basiques et prévisibles, doublés d’une lecture mythologique sur la dualité Bien/Mal majoritairement piquée à "Star Wars" (il y est question d’apprivoiser la « force », sous peine d’être englouti par son « côté obscur » !). D’où une dernière partie qui se fait bouleversante lorsqu’elle touche à l’intime (les cinq dernières minutes sont magnifiques), mais aussi maladroite et poussive dès qu’elle met le paquet sur les scènes d’action spectaculaires (question inventivité graphique, on a déjà vu mieux chez Hayao Miyazaki ou Satoshi Kon).

Même les lectures personnelles de Hosoda en deviennent encombrantes, allant jusqu’à faire preuve de paraphrase en faisant soudain nager une baleine surnaturelle dans les rues de Tokyo pour souligner le lien avec Moby Dick de Herman Melville (le héros combat un ennemi à peu près autant en perte de repères que lui : merci, on avait déjà saisi le lien…). Tout le problème est là : des ambitions fortes, mais des concrétisations faibles, que ce soit par manque d’idées ou par excès de zèle superflu. Ainsi va "Le garçon et la bête", opus cohérent et touchant, mais sans le génie d’un cinéaste que l’on sait pourtant plus surdoué que ça. Cela dit, bien que Hosoda signe ici son film le moins abouti, on aura bien du mal à bouder son plaisir devant un tel programme.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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