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ENRAGÉS

Un film de Eric Hannezo

Une fuite brutale, nihiliste et sans pitié

À la suite d’un braquage sanglant qui aura laissé de nombreux morts sur le sol, cinq criminels trouvent refuge dans un centre commercial où ils sont finalement rejoints par la police. S’ensuit une avalanche de coups de feu et de rapports de force qui vont les pousser à prendre en otage une femme. Tandis que le chef du gang s’effondre après avoir pris une balle, les quatre autres poursuivent leur fuite avec leur otage et arrêtent une voiture qui passait par là. À l’intérieur, un père et sa petite fille malade, qui doit être emmenée d’urgence à l’hôpital pour une greffe. Le voyage en enfer commence…

À l’origine, il y a donc un film méconnu de Mario Bava nommé "Rabid Dogs" et sorti en 1974. À vrai dire, il s’agissait surtout d’un petit thriller d’une rare médiocrité dont le concept « fuite criminelle + prise d’otages » n’était pas sans rappeler la première partie du film le plus cool de Robert Rodriguez ("Une nuit en enfer"). Mais outre une brochette d’acteurs outranciers, une réalisation à la ramasse et des dialogues d’une débilité totale, il s’agissait avant tout d’un film maudit pour Bava, conséquence tragique d’une postproduction malade qui aura engendré un montage charcuté à tous les étages. Le seul intérêt de cette véritable prise d’otages cinématographique (on s’y tournait souvent les pouces) résidait dans la présence d’un twist final aussi vicieux qu’inattendu, qui venait redonner un peu d’intérêt à l’intrigue. On pouvait donc se réjouir à l’idée de voir débarquer un remake, surtout si l’idée consistait à y apporter un peu plus d’énergie et de perversité. Sur ce point, le pari est totalement gagné, mais la surprise réside ailleurs…

Déjà, une simple attention portée au générique de début provoque la stupéfaction : le mec super cool des "Kaïra" (Franck Gastambide) dans un rôle de truand ultra-violent, le coréalisateur de "La Horde" (Yannick Dahan) en tant que coscénariste, et surtout, le président de l’OM et l’ancien patron du Grand Journal éparpillés parmi les – nombreux – producteurs du film ! Inutile de chercher à savoir comment toute cette smala improbable a pu se retrouver dans un même film, le sujet n’est pas là. Cela dit, la présence de Yannick Dahan (également critique cinéma sur Opération Frisson) n’est pas étonnante : sa personnalité de cinéphile attaché à un cinoche de genre badass et visuellement immersif se ressent dans chaque strate du film, pour le coup ancré dans une esthétique à la fois moderne et très 70’s. Au-delà d’un remake très efficace qui reprend la structure du film original tout en l’améliorant par de judicieuses digressions narratives, "Enragés" constitue l’un des rares films de genre français récents à avoir su déballer une mise en scène aussi sophistiquée, prompte à intensifier chaque rapport de force et à quadriller l’action par un écrin visuel des plus réfléchis.

Contrairement au filmage sale et bordélique de Mario Bava, la maîtrise hallucinante du cadre et du découpage par Eric Hannezo nous laisse bouche bée d’un bout à l’autre du récit. Usant du plan-séquence pour tracer la croisée des destinées de chacun comme du gros plan pour mettre en valeur de vraies « gueules » d’acteurs, le jeune cinéaste va pourtant bien plus loin en jouant la carte du suspense stratégique. Dès l’instant où un compte à rebours s’affiche sur l’écran, la mécanique se lance pour ne plus jamais s’arrêter. Une journée en enfer va alors commencer, durant lesquels les caractères vont se jauger, le passé de chacun va se révéler, les apparences vont se briser les unes après les autres, et la violence va se déchaîner dans de grands élans de folie incontrôlable. Les acteurs suivent cette logique en laissant leurs personnages dévoiler malgré eux leur vraie personnalité dans une situation qui les dépasse vite, qu’il s’agisse d’un Lambert Wilson à la trouille contrôlée ou d’un Guillaume Gouix au self-control vite lézardé.

Simple et précise, la mise en scène d’"Enragés" va droit au but, telle une ligne droite magistralement fluidifiée, sur une route sauvage qui laisse derrière elle de nouveaux cadavres à chaque étape. Avec, en filigrane d’un pur canevas de série B toujours de plus en plus stressante, un constat terrifiant sur nos sociétés contemporaines, avant tout gangrénées par la violence la plus déresponsabilisée et les doubles jeux les plus pervers. Ce qu’Eric Hannezo traduit à merveille par le choix d’une musique électronique oppressante à la John Carpenter et l’utilisation d’éclairages rouge-néon pour les terribles révélations en flash-back. Jusqu’au coup de théâtre final, qui nous laisse sortir de la salle avec un sale goût au fond de la gorge. Cette virée en compagnie d’une poignée de chiens enragés n’a rien d’une promenade de santé. Ce sera rude, violent, nerveux, quasi nihiliste, et ça ne finira pas bien. Vous voilà prévenus…

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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