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L'ENFER

Un film de Danis Tanović

Tragédie de l’amour

Un homme sort de prison dans les années 80… Sophie, Céline et Anne sont trois soeurs vivant chacune leurs vies de leur côté. Le lien familial est rompu. Sophie, l’aînée, est mariée à Pierre, un photographe avec qui elle a eu deux enfants. Leur couple vacille. Pierre la trompe. Céline, célibataire, est la seule à s’occuper de la mère impotente placée dans une maison de retraite. Anne, étudiante en architecture, a une relation passionnelle avec Frédéric, l’un de ses professeurs. Un jeune homme va entrer en contact avec Céline. Sébastien, plein de charme, semble vouloir la séduire. La révélation qu’il va lui faire va rapprocher les trois soeurs, leur permettre d’accepter leur passé et peut-être d’oser vivre pleinement…

L’enfer est un film âpre, inconfortable, terriblement actuel. A travers les portraits croisés de trois sœurs aux prises avec des amours contrariés, Tanovic érige une grande tragédie moderne, où l’adultère n’est finalement qu’un moyen pour sonder de l’intérieur la détérioration des sentiments. Ainsi les trois soeurs souffrent moins d’être femme trompée, amante d’un homme marié ou femme sexuellement apathique, que du délaissement affectif qu’elles subissent. La figure de l’absence du père (ou de l’époux) est présente dans chacun des tortueux recoins du récit.

Privilégiant l’intensité dramatique au suspense psychologisant, Tanovic fait du drame fondateur et originel le moment où cette érosion des sentiments se mue en violence, où l’important est moins la révélation de ce drame que son impact émotionnel. Le cinéaste contrôle cet aspect profondément viscéral avec une maîtrise formelle impressionnante. Ses plans, ses cadrages et son utilisation de la lumière mettent à l’amende l’immense majorité de la production francophone actuelle.

Même si l’auteur de No Man’s Land se fait parfois trop démonstratif et faussement démiurgique lorsqu’il cite Médée, convoque de lourdes références philosophiques ou disserte vainement sur le destin, l’impact de sa réalisation n’est jamais remis en question. Il est même confondant qu’on ait le sentiment d’assister à pareille tragédie quand les enjeux du scénario ne font finalement appel qu’à des micro-drames contemporains. Qui plus est, le casting est démentiel. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu une Emmanuelle Béart si intense, presque animale (énorme scène de rupture avec Gamblin), longtemps qu’on n’avait pas vu Karin Viard si sobre, et les autres sont au diapason.

Jusqu’au-boutiste, Tanovic ne cède jamais au pathos, rejette tout sentimentalisme malvenu, et achève ce bel ouvrage par un final implacable où rien ne pardonne et n’excuse les passions contrariées. Chacun repart dos à dos, avec son amertume, son incompréhension, sa blessure. La vie, l’enfer.

Thomas BourgeoisEnvoyer un message au rédacteur

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