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DISSIDENTE

Les temps modernes de la honte

Alors qu’elle est embauchée dans une usine en tant que traductrice, Ariane se rend rapidement compte des conditions déplorables de ces ouvriers étrangers. Si elle essaye de fermer les yeux, cela devient de plus en plus compliqué pour elle…

Le cinéma québécois se porte au mieux. Après les très remarqués "Les Chambres rouges" et "Vampire humaniste cherche suicidaire consentant", débarque sur nos écrans le premier long métrage de Pier-Philippe Chevigny, drame touchant sur les conditions de travail des populations immigrées chez nos voisins canadiens. C’est en faisant des recherches pour un de ses précédents courts que le cinéaste découvre un programme mis en place par le gouvernement fédéral avec des pays du tiers monde. Concrètement, les flux de main d’œuvre entre le Guatemala et les Philippines sont facilités afin de permettre aux usines nord-américaines de bénéficier de gros bras et petites mains à moindre coût. Si on le dit différemment, le pouvoir en place s’est accordé pour développer une nouvelle forme d’esclavagisme moderne.

L’intrigue suivra ainsi Ariane, qui dans une situation précaire, acceptera le poste proposé par un vieux camarade de classe, celui de traductrice espagnole au sein de sa manufacture. Alter-ego du spectateur, c’est par son regard, aussi médusé que le nôtre, que nous allons découvrir ce monde de non-droits, où le respect des valeurs humaines s’arrête là où la pression capitaliste se fait de plus en plus forte. Dans un souci du réel proche du documentaire, le film dénonce avec vigueur une vérité bien trop méconnue, où tout est orchestré pour produire toujours plus, toujours plus vite. Avec justesse, "Dissidente" présente des personnages dont le comportement se refuse au manichéisme, à l’imagine de la protagoniste qui n’embrasse pas immédiatement la cause, la faute à des intérêts personnels la contraignant à une certaine forme de silence, jusqu’à atteindre le point de non-retour.

Avec cette œuvre choc et poignante, Pier-Philippe Chevigny réussit parfaitement son pamphlet politique, s’appuyant sur une caméra à l’épaule pour coller au plus près des corps, et développant une ambiance anxiogène de moins en moins respirable. Nous prenant aux tripes tel un thriller, ce drame maîtrisé permet également de mettre en lumière Ariane Castellanos, dont la performance entre rage contenue et colère explosive est une démonstration d’acting à chaque plan. Accompagnée du toujours très bon Marc-André Grondin, elle forme un duo qui récite avec brio une partition qui rejette constamment les idées préconçues et les raccourcis intellectuels. Militantisme rime ici avec medium cinématographique, tant le film se sert de toute une grammaire visuelle et scénaristique pour transcender son propos. Une leçon d’histoire, et de cinéma !

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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