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DANS LA MAISON

Un film de François Ozon

La part de fiction

Un professeur de lettres, fatigué des rédactions idiotes rédigées par des élèves incultes, découvre avec plaisir les qualités littéraires d'un de ses élèves. Intrigué, il tente de l'aider à parfaire son style, alors même que toutes ses rédactions tournent autour de la famille d'un camarade de classe, pour laquelle ce dernier semble éprouver une étrange fascination...

Cinéaste éclectique, capable de se promener avec aisance de genre en genre, de la comédie musicale (« 8 femmes ») au thriller (« Swimming pool »), en passant par le film d'époque (« Angel »), François Ozon nous livre une œuvre magistrale, au scénario délicieusement pervers. Histoire de l'obsession apparente d'un jeune lycéen pour une famille dite « normale », les Rafas (du prénom du père et du fils...), les rédactions de ce jeune homme potentiellement perturbé, lui permettent de s'essayer à divers styles, de passer du passé au présent pour mieux « rester dans la maison », tout en s'intéressant de manière insistante à la mère, pulpeuse (Emmanuelle Seigner), dont il a reconnu dès sa première visite, « l'odeur, si singulière de la femme de la classe moyenne ». Occasion de railler délicatement chacun de ses propres personnages, l'écriture lui permet d'afficher un certain mépris pour l'intérêt que la femme porte à la décoration, la beaufitude du père, grosses moustaches démodées et survêtement, chaque détail étant donné à voir au spectateur, par un réalisateur qui brouille les limites du récit, de la fiction et du fantasme.

Un jeu malsain va donc s'installer entre le mentor (Luchini, impérial), qui encourage ce qui pourrait être un psychopathe en puissance, et l'élève, qui pourrait bien jouer la provocation plus qu'il ne décrit une vérité. Et le réalisateur entretient savamment le suspense, aidé par un découpage brillant et une musique envoûtante. Son action se limite pratiquement à quatre lieux : le foyer du couple professeur-conservateur, la maison des Rafas, le lycée et la galerie d'art. Jouant de la comédie et du thriller, en nous faisant replonger de manière régulière dans cette maison de la famille « tout le monde », théâtre de toutes les possibles mésactions d'un jeune intrus.

Tout cela fonctionne, principalement grâce à l'imagination même du spectateur, qui va plus vite qu'un récit dont le faux rythme déroute de manière jouissive. Divinement bien écrit, le film a récolté non seulement le prix du scénario au dernier Festival de San Sebastian, mais également la Coquille d'or (concha de oro), récompense suprême. Son quintette d'acteurs fait des merveilles. Fabrice Luchini, légèrement hautain, perd peu à peu le contrôle de sa supposée création, tel un docteur Frankenstein littérraire. Kristin Scott Thomas, interprète brillamment une femme au foyer insatisfaite dont la galerie d'art bat de l'aile... et que seule une expo provoc pourra redorer le blason. Ernst Umhauer, au dessein trouble, incarne parfaitement un manipulateur aux élans naïfs. Denis Ménochet (vu cet été dans le formidable « Je me suis fait tout petit ») en père aimant, est prêt à tout pour protéger son fils de toute humiliation. Quant à Emmanuelle Seigner, elle joue une sorte de Madame Bovary, version banlieusarde au foyer. Un délice pour l'intellect comme pour les nerfs.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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