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CONJURING

Un film de James Wan

Wan, Two, Three

Ed et Lorraine Warren sont des – vrais – enquêteurs du paranormal : lui est démonologue et spécialiste en exorcisme, elle est médium et capable de « sentir » les fantômes. Habitués aux esprits frappeurs et autres démons en tous genres, comme lors des événements d’Amityville, ils se trouvent confrontés, dans une maison d’Harrisville, à une créature particulièrement violente et tenace, sans doute le cas le plus terrifiant de leur carrière…

On n’a de cesse de louer la qualité technique des films réalisés par James Wan, et à raison. Mais s’il est vrai que le garçon possède un talent certain pour la mise en images, surtout lorsqu’il s’agit de descendre le trouillomètre des spectateurs aux alentours de zéro, il n’empêche que son dernier poulain en date révèle des failles inquiétantes dans ce vernis trop parfait du dernier « petit génie d’Hollywood » en date. Indéniablement réussi sur le plan visuel, avec toujours cette impression agréable du travail bien fait, son film s’apparente à l’histoire de la poupée Annabelle, exposée en début de récit, en guise d’introduction, par les époux Warren : aussi saisissante soit-elle, la marionnette n’apporte rien au Schmilblick. Mise en retrait pour opérer un come-back dénué de sens à l’orée du dernier acte, elle finit par être gommée pour de bon des affaires de nos personnages, sans même un ultime sursaut pré-générique histoire de nous remémorer son inquiétant charisme. Voilà ce qu’est "Conjuring" : un film gigogne, à la fois récit dans une poupée et poupée dans un récit, qui menace constamment de se briser la nuque à force de ne pas savoir sur quelle chaise poser ses fesses.

Bien que la production nous refasse le coup du « tiré d’une histoire vraie », une fois n’est pas coutume la réalité pointe derrière l’argument commercial. Les époux Warren, qui forment le duo « héroïque » du scénario de Chad et Carey Hayes (auteurs de "La Maison de cire" et "Les Châtiments", que du bonheur (sic)), sont de vrais chasseurs de fantômes : ils ont ensemble mené une très longue carrière en démonologie, exorcisme et enquêtes sur le paranormal, avec quelques 4 000 affaires à leur actif et un nombre ectoplasmique de bouquins. Leur cas le plus célèbre, celui de la maison d’Amityville, dans la banlieue de New York, a déjà eu les honneurs de deux longs-métrages – et le mépris le plus total des scientifiques après moult analyses et recherches. Autant dire que la veuve Warren conserve sous le coude de quoi exciter les scénaristes américains pendant plusieurs étés – pour peu que ce "Conjuring" obtienne assez de succès pour s’imaginer une engeance, démoniaque ou pas.

Que l’on choisisse ou non de croire en la véracité des péripéties de cette sympathique doublette constituée d’une médium (Vera Farmiga, yeux de chien battu grands ouverts, écrasée par le poids émotionnel des spectres qui l’entourent) et d’un démonologue un rien désabusé (Patrick Wilson, déjà victime de James Wan dans "Insidious" et de retour dans sa future suite), la notion de peur est de toute façon soumise au bon vouloir de quelques malheureux effets de manche. On est loin du cinéma suggestif de Robert Wise ("La Maison du Diable"). Tous les obstacles que "Insidious" parvenait à éviter, "Conjuring" les prend de plein fouet, mais avec le plaisir manifeste d’un sale gosse heureux de se rouler dans la fange et de salir ses fringues flambant neuves : portes d’armoires qui claquent, portraits tombant du mur, mains sorties de nulle part, créature informe surgissant brusquement derrière l’oreille d’une petite fille pour lui chatouiller l’adrénaline, jusqu’à l’exorcisme final d’une banalité affligeante – à tel point que si vous êtes rompus à l’exercice façon William Friedkin, vous pourrez manger tranquillement votre sandwich thon crudités pendant les activités infernales, sans même avoir à cligner des yeux. Comme d’habitude, le démon piaille devant les insignes catholiques (à quand des esprits bouddhistes ?) et vomit du sang. Le récit suit ainsi une route toute tracée que les comédiens, les spectateurs et même l’ouvreuse du cinéma connaissent par cœur, sans prendre la peine d’y instiller la plus petite larmichette de surprise – et sans passer à côté des scories invraisemblables qui, dans un film réussi, passent inaperçues, mais sautent aux yeux dès lors que la qualité n’est pas au rendez-vous.

Ce qui sauve néanmoins "Conjuring" du naufrage, c’est le soin apporté par James Wan à sa mise en images, la précision des plans-séquences et des mouvements, nombreux, d’une caméra extrêmement mobile, suivant les personnages dans leurs déplacements à travers les multiples pièces et étages de cette maison si grande et si ergonomique qu’elle semble avoir été pensée dans le seul but d’être filmée. Apparenté à la demeure impossible de La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, le foyer de la famille Perron, hanté par une sorcière, donne la sensation de s’agrandir et de s’étirer à mesure que le récit avance et que surgissent chambres secrètes, cagibis et autres doubles-fonds. À l’inverse, c’est l’exiguïté du « musée de l’occulte » des Warren, pièce proche du placard contenant tous les artefacts maléfiques glanés par les démonologues durant leurs aventures, qui lui confère cette atmosphère entêtante d’aquarium saturé de piranhas affamés attendant leur heure, la bave aux branchies. Comme toujours avec Wan, la gestion de l’espace vaut son pesant de cacahuètes ; mais aussi classieuse soit-elle, elle est corrompue par sa volonté d’appliquer à la frayeur du chaland des recettes par trop simplistes et trop évidentes, suffisamment pour satisfaire l’ignorant mais pas pour contenter le spécialiste du genre.

On en sort déçu et, plus encore, frustré, tant on était en droit d’attendre de James Wan une réalisation à la hauteur de sa réputation. Las, son schéma s’épuise et, face à une concurrence de plus en plus efficace, à l’image du très angoissant "Sinister" de Scott Derrickson, la nouvelle attraction made in Wan fait pâle figure. Il y aura certes toujours des spectateurs innocents et naïfs pour sursauter devant l’apparition soudaine d’un visage peinturluré et sadique, pour se ronger les sangs lorsque l’ombre derrière la porte de la chambre devient menaçante, mais ces effets de fête foraine ne nourrissent que notre part instinctive. Où est le cinéma, le vrai, intelligent et subtil, dans tout ça ?

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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