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LES CHÈVRES DE MA MÈRE

Un film de Sophie Audier

La fin d’une époque

Sur le plateau de Saint-Maymes, dans les Gorges du Verdon, Sophie Audier a filmé la dernière année d’activité de sa mère, Maggy, qui élève des chèvres et fabrique du fromage depuis 40 ans selon une méthode qu’elle a elle-même développée. L’heure de la retraite a sonné et Maggy, pour espérer toucher ses indemnités, doit transmettre son cheptel. Elle choisit une jeune agricultrice, Anne-Sophie, a qui elle doit transmettre d’abord son savoir-faire puis vendre ses chèvres. Au fil des saisons, le processus s’avère douloureux pour Maggy et difficile pour Anne-Sophie...

Sophie Audier réalise avec ce documentaire, l’acte de transmission qu’elle ne pourra jamais concrétiser avec sa mère : reprendre son cheptel et poursuivre l’élevage et l’exploitation de l'élevage caprin. Cinéaste, elle décide donc de filmer cette dernière année, et les difficiles renoncements que sa mère devra faire pour quitter ce qui représente les 40 dernières (et plus belles) années de sa vie.

La réalisatrice choisit de filmer caméra à l’épaule, pour capter en toute proximité, les moments simples et répétitifs du quotidien de ces deux femmes, durant cette dernière année pour l’une et la première d’une nouvelle vie pour l’autre. Il s'agit presque d'un film de famille, où Maggy livrera ses craintes, ses regrets et ses colères face à une normalisation de la production fromagère. Elle qui avait quitté la ville dans les années 70 pour venir vivre au plus près de la nature, dans un lieu isolé et sauvage, dans une ferme sans eau ni électricité, pour élever des chèvres et vivre de son élevage, réalise qu'il s'agit d'un mode de vie impossible désormais. C’est Anne-Sophie qui symbolise la nouvelle ère de l’agriculture fermière : formée à l’école, où l’on apprend une seule méthode de fabrication du fromage, elle devra appliquer les normes européennes pour pouvoir produire ses fromages, mais avant cela elle devra se confronter à toute la complexité des démarches administratives pour réaliser son projet.

Ce sont ces deux mondes qu’on voit s’opposer durant le film, où les échanges entre les deux femmes sont parfois tendus. « Mes chèvres ça n’a pas de prix, elles sont ma famille, elles sont toutes ma vie » dira Maggy quand il lui faudra négocier le rachat de son cheptel. « Je m’aperçois que je ne me suis pas confrontée à la réalité depuis longtemps » dira-t-elle également quand elle se rendra compte que sa retraite sera dérisoire, « 650 euros pour toute une vie de travail, ce n’est vraiment pas grand-chose ». Mais qu’est-ce que la réalité ? Est-ce faire face à la nature sauvage des Gorges du Verdon, devoir mettre au monde des chevreaux, les nourrir, les soigner, même parfois les tuer de sa main, vivre de son troupeau… ou est-ce suivre une norme ? Rentrer dans une « bonne » case administrative… Et attendre une aide pour vivre ?
C’est ce goût de la liberté que Maggy va tenter aussi de transmettre à Anne-Sophie pendant cette dernière année, captée par sa fille derrière la caméra. Un bel héritage et un bel hommage qu’elles nous offrent également, à nous, spectateurs.

Loreleï Colin-MoreauEnvoyer un message au rédacteur

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