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CARTE DES SONS DE TOKYO

Un film de Isabel Coixet

Exister aux yeux de l'autre

Alors qu’il parle affaires avec des occidentaux, tout en mangeant du sushi chaud sur le corps d’une femme nue, un japonais apprend le suicide de sa fille. Il demande à son homme de main de se débarrasser de celui qu’il tient pour en partie responsable, un espagnol, importateur de vin, lui aussi dérouté par la perte de l’être cher. C’est Ryu, une mystérieuse jeune femme, qui accepte le contrat…

Dans les rencontres, tout est souvent question de timing. Aussi lorsque la tueuse croise le chemin de sa cible, bel espagnol malheureux, donnant le change au quotidien, ces deux solitudes trouvent écho l'une en l'autre, en un impossible amour sur fond de deuil. C'est sur cette liaison attendue que se concentre avec tact la réalisatrice espagnole Isabelle Coixet, retrouvant ici une élégance qu'elle avait égaré avec « Elegy », peut-être du fait d'un duo d'acteurs trop envahissant (Penelope Cruz / Ben Kingsley). Jamais elle ne filme mieux que lorsque le drame est déjà là, entrainant dans sa chute ceux qui passent alentour. Dans « Ma vie sans moi » son héroïne prend un amant alors qu'elle se sait condamnée. Ici, Sergi Lopez se laisse aller à une complicité qu'il est incapable d'éprouver, définissant aux regards de l'extérieur cette femme qu'il baise, comme n'étant « personne ».

Exister aux yeux de l'autre, ne pas être qu'un objet sexuel ou un exutoire d'une tendresse refoulée, c'est ce que voudrait Ryu. Mais toute la mise en scène la fait disparaître dans cette ville colorée et anonyme. Qu'il s'agisse de la description qu'en fait en voix-off le mystérieux preneur de son qui partage silencieusement certains de ses repas, ou du sang qu'on lave à grands jets dans le marché aux poissons où elle travaille, elle pourrait aussi bien ne jamais avoir existé. Elle est à l'image de l'hôtel qui deviendra un rituel lieu de rendez-vous (voir la chambre « Place des Vosges » qui reconstitue un wagon de métro parisien !), une parenthèse improbable. Celle dont on se sert malgré soi pour pouvoir survivre et passer à autre chose.

Par sa mise en scène aérienne, qui magnifie plus les couleurs que les sons d'un Tokyo foisonnant et impersonnel, Isabelle Coixet nous fait toucher du doigt le désespoir. Celui d'un homme égaré qui s'étrangle en chantant « Enjoy the silence » au karaoké, et celui d'une femme qui se découvre un cœur, mais aussi un corps. Leur complicité fait autant de mal que le spectateur romantique en espère du bien. Mais la vie est mal faite et laisse toujours quelqu'un sur la touche. Reste à essuyer ses larmes et à garder un bout de l'autre en souvenir. Loin... très loin dedans.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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