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BLEU NORD

Un film de Joanna Priestley

Abstraction plastique

Des points de fuite changeants, des motifs bidimensionnels, des formes et des explosions, capturées dans une heure d’animation censée explorer les relations humaines...

La grosse curiosité du festival d’Annecy 2018, c’était bien ce film-là. Présentée hors compétition pour les cinéphiles les plus téméraires, la nouvelle création de Joanna Priestley – figure majeure de l’animation indépendante nord-américaine – a frappé super fort : un film animé sans trame ni scénario, entièrement construit sur la succession de motifs bidimensionnels et mutants qui se succèdent dans un grand délire formel et expérimental. Et là où certains seraient tentés de vomir leur beurre de cacahuète en prétextant qu’il n’y aurait donc rien à dire, ceux qui tentent de chercher dans le 7ème Art un outil de pure sensorialité, détaché des lois de l’analyse et de la narration classique, ont pu atteindre ici le nirvana. Si le choix d’y voir une « exploration des relations humaines » (tel que défini dans le dossier de presse) restera pour nous de l’ordre d’une vue de l’esprit, on n’aura aucun mal à dénicher dans cette orgie de couleurs une tonalité très méditative, comme un appel à se laisser aller dans le déchaînement de formes sophistiquées et à profiter d’une heure pure de folie graphique. Quant à ce que l’on serait sensé y voir ou percevoir, là, chaque réponse sera unique en fonction du spectateur.

Au risque de friser l’hyperbole carabinée, osons reconnaître en "Bleu Nord" une sorte d’équivalent cinématographique d’un test de Rorschach, où la symétrie des formes, la fusion quasi imperceptible des variations de couleur et la récurrence très tangible de certains motifs (des fractales, des nuances de bleu, des lignes de fuite…) produit un curieux effet sur le cerveau, donnant à voir et à ressentir des choses assez inédites. En dehors de cela, le résultat explose sans arrêt les limites de l’animation comme « territoire de tous les possibles », imposant ici une jubilatoire torsion des orbites façon bigoudi à chaque fois que l’image se met à muter ou à partir en vrille. Ici, le sens est capturé tandis que les sens sont libérés. Pour un film qui casse avec brio toutes les règles, il n’y a en fin de compte qu’une seule règle à suivre ici : don’t try to explain, just sit back, relax and feel it.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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