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BLAGA'S LESSONS

Un film de Stephan Komandarev

Un monde sans pitié

Blaga, femme de 70 ans récemment veuve et à la maigre retraite, arrondit ses fins de mois en donnant des cours de bulgare. Un jour elle reçoit un coup de fil empressé d’un policier lui demandant de l’aider à arrêter des escrocs qui auraient eu ses coordonnées et s’apprêteraient à débarquer chez elle pour lui voler ses économies. En panique, elle lui donne son numéro de portable et alors que les bandits appellent sur le fixe, suit ses indications depuis le portable, jusqu’à jeter la somme dans un sac par la fenêtre. Le lendemain, elle se présente au commissariat de police, pour récupérer l’argent. Mais l’agent qu’elle a eu au téléphone n’existe pas. Pour ne pas perdre l’option sur une concession qu’elle a réservé au cimetière pour son mari et elle, elle va alors chercher d’autres moyens pour retrouver de l’argent, d’emprunts en petits boulots…

"Blaga’s Lessons" est un film bulgare dont l’action se situe, non pas à Sofia, mais dans la ville de Choumen, en Bulgarie, surplombée par un immense monument hommage. Le film s’ouvre avec un plan sur une liasse de billets sortant d’un sac plastique, posée au milieu d’un pneu au bord d’une rivière, une voiture venant soudainement la récupérer. Une entrée en matière qui symbolise à elle-même le système d’arnaque qui viendra ensuite, visant principalement les personnes isolées et âgées, et dont notre anti-héroïne, Blaga, sera à la fois la victime et la participante active. Car c’est un long chemin que celle-ci va parcourir depuis sa discrète et honnête retraite, vers les pires compromissions. Même si sa quête est avant tout motivée par le fait de donner une scépulture à son mari, récemment décédé et incinéré, en conservant la concession sur laquelle elle a mis une option, le fait qu’elle doive trouver vite l’argent qu’elle n’a plus l’oblige à une série d’efforts de longue haleine, à l’image de cette montée des 1500 marches vers le monument qui surplombe la ville, plan symbolique et récurrent du métrage.

Et la mise en scène de Stephan Komandarev ("Taxi Sofia") se met au diapason de ses angoisses et de ses accès de colère. D’abord durant la longue scène d’arnaque téléphonique, où elle rentre en panique, comme envoûtée par la voix autoritaire de celui puis ceux qu’elle a au bout du fil, la caméra s’approchant de ses moindres gestes ou de son visage, et adoptant sa nervosité. Puis lorsque par exemple, elle ne suit qu’elle, renfermée, face à son unique élève venue du Haut Karabakh et désireuse d’obtenir la nationalité bulgare, qui ne comprend pas pourquoi elle est soudain si sèche avec elle. Enfin quand elle la cadre fixement depuis le côté dans sa voiture, alors qu’elle démarre en trombe lors d’une des dernières scènes du film, le regard fixe devant elle, comme le souffle coupé par ce qui vient de se passer.

Cruel jusque dans ses dernières minutes, "Blaga’s Lessons" ne fait jamais que suggérer le danger, laissant les exactions hors champs, mais met face à cette femme en permanence, toute la violence des mots, qui la renvoient perpétuellement à son âge et à sa pauvreté : ceux de la banquière qui refuse son prêt, ceux de cet ancien élève qui jubile d’avoir supposément mieux réussi qu’elle, ceux d’une politicienne qui fait semblant de s’attaquer au problème ou à la corruption, ceux d’une amie devenue caissière par nécessité à 70 ans, ceux de son fils qui lui reproche d’avoir été stupide, ceux encore du gars des pompes funèbres qui lui fait un chantage au délai et dont l’attitude est en permanence des plus louches... Face a toutes ces comportements et à la violence de toute une société, elle n’a finalement qu’une seule issue : la jouer perso, jusqu’à l'ignoble conclusion d’un scénario aussi politique que retors. Tout juste brillant.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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