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BALADA TRISTE

Un conte obscur et jouissif aux deux parties inégales

Le fils d'un clown de légende, mort tué pendant la guerre civile espagnole, est devenu comme il l'avait promis à son père, un clown triste. Dans les années 70, il intègre un cirque, dans lequel il rencontre la petite amie du clown au nez rouge, dont il tombera amoureux. La rivalité entre les deux hommes va alors prendre des proportions ahurissantes...

Alex de la Iglesia n'est pas un habitué des grands festivals. Grand Prix à Gerardmer pour "Le jour de la bête", il s'est surtout fait remarquer pour ses comédies excentriques et violentes ("Mes chers voisins", "Le crime farpait" ou "800 balles"). La sélection de son film, "Balada triste de trompeta" en compétition au Festival de Venise 2010, était donc un évènement de taille. Et elle s'est transformée en véritable triomphe, puisque le film a remporté non seulement le prix du meileur scénario, mais également celui de la meilleure mise en scène.

Le résultat, assez déséquilibré entre une première partie très construite, extravagante mais cohérente, et une seconde totalement explosive, partant un peu trop dans tous les sens, relève de la comédie d'action aussi improbable que jouissive. Le film commence en 1937 dans un cirque, sous les bombardements, la troupe étant embrigadée de force pour lutter contre les troupes fascistes de Franco. Le magnifique clown décimant les soldats avec sa machète, habillé en tutu rose, est à voir en soi (vous ne rêvez pas, il s'agit bien de Santiago Segura), mais meurt sous les sabots d'un cheval au bout de quelques minutes. Son fils deviendra un clown triste, engagé par un nouveau cirque au début des années 70.

L'histoire de son amour éperdu pour la femme d'un autre, l'autre clown, drôle en public, mais terriblement autoritaire en privé, sera alors au centre de l'ensemble de l'intrigue. La première partie, extravagante, conte sa vision innocente trahie, de cette jeune femme finalement plus sensible aux choses du sexe et de la luxure, qu'à une quelconque approche romantique. Les quelques ombres chinoises suggestives utilisées sur les tentures du cirque, ne laissent aucun doute quant à ses pulsions. Le jeune homme, enrobé, au physique ingrat (formidable Carlos Areces), se désespère de voir ses bonnes intentions vouées à l'échec, face au caractère particulièrement vicieux et dominateur de son adversaire.

Et "Balada Triste de Trompetta" de basculer alors dans une seconde partie, dans laquelle la folie des deux hommes les mènent à un affrontement aveugle. Le scénario dérape alors complètement, avec le pétage de plombs du héros, qui s'auto-mutile à coup de fer à repasser, ou se retrouve réduit à l'état d'animal sauvage au sein d'une meute de chiens, puis habité d'une mission divine visant à abattre tous ceux qui se présentent sur son chemin. La montée en puissance est impressionnante. Pourtant, n'hésitant pas à casser son propre rythme, Alex de la Iglesia permet tout de même au spectateur de souffler un peu. Ceci notamment, en laissant transparaître les restes d'humanité d'un homme désespéré par son intime injustice, au cour par exemple de passages « musicaux »: un extrait de film avec Raphael, en clown, qui chante « Balade triste de trompeta » ou la version espagnole de « Je l'aime à mourir », par Francis Cabrel lui-même...

Au delà de l'esthétique aussi superbe de cradingue, le film s'achemine sans vergogne vers un final-climax, combat sur une croix gigantesque évoquant les constructions de Franco et la croix du « Dia de la bestia – Jour de la bête ». Mais le film est aussi une charge contre les élans totalitaire ("je suis le clown, je décide ce qui est drôle"), la complicité de l'église, l'hypocrisie générale face à la luxure ou aux plaisirs de la chair. Ainsi, la vengeance d'un clown habillé en costume d'évêque, vis à vis d'un pouvoir oppressant, est symbolisée par sa petite histoire de lutte pour la belle. Cynique dans sa première partie, totalement chaotique dans la seconde, ce film « de mecs » chaotique fait à l'héroine une petite place, et c'est elle, qui devra faire son choix entre le violent et autoritaire, ou l'innocent. L'Espagne, heureusement, est revenue de ce choix là.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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