AUX YEUX DE TOUS

Un film de Billy Ray
 

POUR : Un thriller puissant, porté par un excellent casting

Jess Cobb est une enquêtrice du FBI qui pensait pouvoir tout affronter. Mais lorsqu’elle découvre le cadavre de sa fille, sa vie s’arrête. Tout comme celle de son collègue Ray Kasten, obsédé par cette affaire…

"Dans ses yeux", Oscar du meilleur film étranger en 2010, était un polar noir captivant, une plongée fascinante dans l’Argentine du milieu des années 70, une œuvre profonde à l’atmosphère déroutante où se mêlaient quête de justice et amour fusionnel. Alors, lorsque nous avons appris qu’Hollywood préparait son remake, les doutes étaient de rigueur. Mais face à notre scepticisme, le réalisateur Billy Ray a répondu de la meilleure des manières, en refusant tout mimétisme avec son prédécesseur. De l’original, il ne reste vaguement que ce mélange des genres où l’intrigue policière est accompagnée de la chronique sensible d’une passion irrépressible.

Nous sommes ainsi aux États-Unis, Jess Cobb travaille pour le FBI. Un après-midi comme les autres, elle se rend au fin fond d’un parking pour enquêter sur un cadavre vulgairement jeté dans une benne à ordures. Sauf que le corps de la jeune adolescente n’est autre que celui de sa fille, le début d’une descente aux enfers pour cette mère meurtrie, et surtout pour son meilleur ami et collègue, Ray Kasten, dévoré par ce crime qu’il ne peut accepter comme non résolu. Thriller haletant et labyrinthique, "Aux yeux de tous" s’appuie sur une mécanique parfaitement huilée où chaque évolution s’inscrit parfaitement dans une trame narrative surprenante et étonnamment délicate. À l’image de la relation entre les personnages, magnifiquement interprétés par Chiwetel Ejiofor et Nicole Kidman, le métrage dégage une intensité rare, entre sobriété et pudeur, aussi sensuelle que bouleversante.

Malheureusement, si le metteur en scène sait indéniablement comment tenir en haleine le spectateur, en multipliant les ressorts dramatiques sans tomber dans la surenchère (ce qui était déjà le cas sur "Capitaine Phillips" et "Jeux de pouvoir" qu’il a écrits), le film commet l’écueil de surcaractériser ses enjeux émotionnels alors qu’il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il s’inscrit dans un minimalisme troublant. Si ce défaut est grandement dommageable, gâchant le final, le talent des comédiens suffit à faire de ce thriller implacable une œuvre bien plus intéressante que le carcan formaté dans lequel il a tendance à s’enfermer. "Aux yeux de tous" n’a pas l’aura de son modèle, mais cette chronique policière sur fond de vengeance a un écho bien plus fort que ce qu’on avait imaginé.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

Il ne servira à rien ici de râler ad vitam aeternam sur la mode des remakes américains de succès étrangers. Plus que la théorie, avant tout dirigée par des impératifs commerciaux plus qu’autre chose, c’est davantage sur la pratique qu’on va se permettre de pousser ici un vrai coup de gueule. Déjà que le fabuleux "Dans ses yeux" de Juan José Campanella (Oscar du meilleur film étranger en 2010, rappelons-le !) avait su conférer de sacrées émotions à tous ceux qui ont eu la chance de le voir à sa sortie, on voyait mal l’intérêt d’un décalque, si ce n’est pour épargner la lecture de sous-titres et la présence d’acteurs étrangers à un public US que les studios imaginent sans doute très bête. Mais que ce remake en arrive à trahir la moelle initiale de son récit au profit d’une sorte de vigilante à deux dollars a de quoi susciter l’indignation.

Les rares changements opérés sur le scénario vont d’ailleurs dans ce sens : la personne violée et tuée n’est plus une femme mariée mais une petite fille, son parent désireux de retrouver l’assassin n’est plus un simple veuf mais une fliquette (jouée par une Julia Roberts littéralement « dévisagée » par les pleurs et les rides), et même la relation amoureuse teintée de mélancolie entre le protagoniste et sa supérieure de l’époque passe ici à la casserole. Tout ce que l’on pourra admirer sera une enquête anonyme, platement filmée et surchargée en pathos, recyclant les scènes du film original sans jamais comprendre leur sens et leur intérêt narratif. Même le moment-phare du film de Campanella, à savoir cet hallucinant plan-séquence sur la filature du suspect dans un stade bondé, est ici dupliqué au travers d’un découpage maladroit qui place les coupes aux instants les moins justifiés – la scène en devient désastreuse. Quant à la fameuse découverte finale, elle trahit le sens originel du final désenchanté de "Dans ses yeux" pour encourager ici un retour naïf et nauséabond à l’auto-justice. Désolé, mais ça, on ne pardonne pas…

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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