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ANTI-SQUAT

Un film de Nicolas Silhol

Une dénonciation en règle

Inès, à court d’argent, ne parvient plus à payer le loyer de l’appartement où elle vit avec Adam, son fils de 14 ans. Postulant pour poste chez Anti-Squat, elle est prise à l’essai pour deux mois pour un poste de resident-manager, qui consiste à sélectionner les résidents de logements temporaires aménagés dans un immeuble de bureaux, afin de surveiller et entretenir celui-ci en attendant qu’il soit à nouveau occupé et afin d’éviter les phénomènes de squat. Mais cela impose qu’elle vive avec eux sur place, en suivant des règles strictes, dont celle de ne pas avoir d’enfant avec elle. Elle décide alors de laisser son fils adolescent seul dans leur appartement, le temps d’obtenir son CDI…

Anti-Squat film movie

Cherchant à faire avant tout le portrait d’une femme en lutte, Nicolas Silhol (réalisateur du remarqué "Corporate", sur le mal être au travail) s’est finalement intéressé au mal logement et à l’exploitation des précaires, au travers d’un film explorant les possibles déviances d’un dispositif introduit en France par la loi ELAN en 2018 (loi « évolution du logement, de l'aménagement et du numérique »), et pérennisé récemment par la loi anti squat de juin 2023. Un dispositif déjà expérimenté dans d’autres pays, qui consiste en la possibilité de loger des résidents dans des locaux vacants (ici un bâtiment de bureau, mais aussi un hôtel…), à un prix réduit, tout en leur demandant d’entretenir gratuitement les lieux. D’emblée le scénario dénonce, non pas les conditions de vie en elles-mêmes, mais le peu de droits des résidents en regard de ceux de vrais locataires (visites limitées, interdiction des enfants ou des fêtes, possibilité d’éviction accélérée…), l’histoire se chargeant de pointer les excès possibles (déjà constatés à l’étranger) de ceux qui organisent la chose, pour des propriétaires qui cherchent certes à éviter du gardiennage coûteux, mais aussi surtout à valoriser leur bien.

Le choix de Louise Bourgoin, pour le rôle principal, s’avère particulièrement judicieux. L’actrice en impose, affichant une fermeté de façade et une force salvatrice, dans l’incarnation cette femme en souffrance, au visage fermé, épuisée d’être prise en étau entre besoin d’un CDI pour trouver un nouveau logement et risque d’expulsion, entre nécessite de s’occuper de son fils adolescent et devoir s’installer avec les résidents pour les surveiller, entre respect des règles et petits ajustements nécessaires de la vie. À même de s’identifier à ceux qu’elle va caster (un artisan potentiellement utile, une jeune actrice qui ne parvient pas à percer, une infirmière qui fait des gardes de nuits, un gars adapté de petits trafics…) son personnage va donc devoir composer avec ses propres principes, découvrant un monde implacable, sous les yeux d’un fils peiné mais compréhensif. Dans le rôle de celui-ci, Samy Belkessa (qui a joué depuis dans "La plus belle pour aller danser") est tout juste bluffant, de retenue et d’interrogations, s’imprégnant du vécu de ceux qui l’entourent.

Si le film est loin d’être désespéré, mettant un certain espoir dans la jeunesse, il n’en fait pas moins de nombreux lourds constats en termes d’individualisme et de sens dans lequel vont les lois actuelles. Nicolas Silhol, quant à lui, exploite avec acuité la géographie d’un lieu rarement connu vide, qui devient ici un lieu de vie au-delà du travail, et prend des aspects différents entre jour et nuit, moment où bruits comme ambiances se révèlent plus inquiétants. Socialement captivant, "Anti-Squat" parvient à faire à la fois froid dans le dos, à pointer du doigt un capitalisme sans aucune vergogne (quelques dialogues résonnent d’ailleurs encore longtemps après la séance, du type : « ils ne sont pas chez eux » ou « y’a plein de moyens de faire partir des gens »...), tout en nous attachant à sa brochette de personnages, en provoquant l’inquiétude pour cette mère malgré tous ses défauts, et en laissant planer l’espoir de différents combats. Sans doute l’un des films les plus saisissants de la rentrée.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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