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AKOIBON

Un film de Édouard Baer

Comédie sensible, décalée, originale, géniale… édouard - baeresque !

Nader, escroc de pacotille, se voit ordonné et contraint d’embarquer pour une île minuscule et d’y enlever Chris Barnes (Jean Rochefort), un ex-Eddy Barclay sur le déclin. Sur le bateau qui le mène à l’île, il rencontre Daniel (Edouard Baer), qui s’en va rencontrer Betsy, qu’il a connue sur internet et avec qui il partage une passion pour George Moustaki, et qui s’avère être la fille de Chris Barnes…

Le début de l’histoire pourrait passer comme une énième comédie à la française où les gags vont avoir la lourde tâche de faire oublier une intrigue-prétexte mal écrite. Mais si l’intrigue pseudo-thriller n’est effectivement qu’un prétexte déclencheur du film, ce qui suit va contredire tout autre mauvaise appréhension. Petit à petit, Edouard Baer nous fait entrer dans son univers atypique où se côtoient des personnages décalés pourvus d’une sensibilité à fleur de peau. Edouard Baer signe ici une comédie à l’humour varié, utilisant au mieux le potentiel de chacun de ses interprètes, tant en exploitant leur "touche personnelle" qu’en contournant cette stéréotypie trop présente dans les comédies actuelles.

On rit alors, par exemple, de l’excellent Benoît Poelvoorde qui s’amuse à tourner en dérision son côté déconneur, jusqu’à se parodier lui-même (son imitation ratée de Gainsbourg fait évidemment écho à « Podium ») ou s’auto-exagérer (lorsque Chiara Mastroianni lui fait remarquer qu’il joue mal la colère). Atmen Kelif en Deschien surréaliste, François Rollin en pseudo-philsopho-artiste, Chiara Mastroianni en caricature de la bourge désœuvrée, Jean Rochefort dans un nouveau contre-rôle éblouissant, Nader Boussandel dans une interprétation Ramzyesque, Marie Denarnaud en néo-rétro-Emmanuelle, quelques acolytes habituels de Baer… Tout ce joyeux monde vient intégrer harmonieusement l’univers d’Edouard Baer tout en apportant leur personnalité.

Mais son film n’est pas seulement une (bonne) comédie et c’est cela qui fait la grande force de cette oeuvre. On sent dès les premières minutes que l’on flotte entre deux mondes, que cette ambiance déjantée n’est qu’un masque spectaculaire d’une réalité bien humaine. Edouard Baer lui-même révèle le premier la sensibilité des personnages, à travers des dialogues beaucoup plus subtiles et fins qu’ils ne pourraient paraître si l’on s’arrête à leur vertu comique. Derrière ces façades de personnages qui flirtent avec une marge déconnectée voire irréelle, se cachent des âmes mélancoliques et poétiques.

Sans prétention – et peut-être sans vraiment s’en rendre compte – Edouard Baer nous dresse une réflexion presque philosophique sur notre humanité contemporaine, à travers les névroses et les idéaux de ses personnages, dont le côté volontairement pathétique les rend touchants et beaucoup plus proches de nous qu’on ne pouvait l’imaginer face à certaines de leurs hystéries. Au-delà de l’anarchie apparente que crée ensuite une mise en abîme vraiment originale qui nous confirme cet entre – deux - mondes (la meilleure depuis « Mulholland Drive », rien que ça !) et qui nous livre quelques pensées astucieuses sur l’industrie du spectacle, Edouard Baer parvient à construire un corps cinématographique logique et sensé, sur lequel « La Bostella » semble planer comme un brouillon lointain, synonyme de la maturité artistique de son créateur. On s’échappe avec les personnages dans cette œuvre modeste et pourtant essentielle où Edouard Baer a affirmé son style. Pour le bonheur de tous ! Merci !

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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