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AFTER EARTH

Un film de M. Night Shyamalan

Tu seras un homme, mon fils

À force de pomper ses ressources naturelles, les humains ont fini par dérégler définitivement une Terre qu’ils se sont vus obliger de quitter, en direction d’une planète habitable sur Nova Prime. Nova leur réserve cependant une mauvaise surprise : les Ursas, des créatures qui traquent les humains grâce à leur peur, et devant lesquelles les Rangers doivent apprendre « l’effacement », une technique qui consiste à oublier sa crainte. Le meilleur d’entre eux, Cypher Raige, et son fils Kitai, qui vient une nouvelle fois d’échouer à l’examen pour devenir Ranger, se retrouvent, suite à une avarie sur un vaisseau spatial en mission, échoués sur une planète Terre devenue très hostile, avec un Ursa en liberté…

M. Night Shyamalan a décidément choisi de suivre la voie des blockbusters, trois ans après son précédent long, "Le Dernier maître de l’air", un début de franchise resté sans suite à cause de son échec en salles. "After Earth", son nouvel ouvrage, vise la stratosphère du box-office avec ses 130 millions de dollars de budget et son casting squatté par une partie de la famille Smith – Will et son fils Jaden se retrouvant ici à l’écran, pour la première fois depuis "À la recherche du bonheur". Le film s’inscrit aussi dans un retour en force de la science-fiction au cinéma, avec le récent "Oblivion" et les prochains "Star Trek Into Darkness", "Man of Steel", "Pacific Rim" ou encore "World War Z".

Pour un peu, on croirait à un effet de mode, avec en tête de gondole le film de S-F post-apocalyptique, auquel Shyamalan aurait souscrit sans trop y réfléchir. Les premières minutes font craindre, en effet, une relecture maladroite de vieilles fictions futuristes kitsch, avec l’évacuation de la Terre sur fond d’images d’usines polluantes et de surpopulation, puis la guerre contre les Ursas soulignée par une voix off didactique et trop condescendante, enfin la présentation plutôt grossière du fils, Kitai (Jaden Smith). Il faut attendre une bonne dizaine de minutes pour que le film trouve son sens, et que Shyamalan installe son style, sa « patte » (discussions en plans serrés, personnages inexpressifs et rigides, musique enveloppante), poussant "After Earth" vers l’intimisme familial que le cinéaste travaille dans toutes ses mises en scène. Alors, l’univers de science-fiction, la Terre hostile, l’Ursa déchaîné et les technologies ostensibles ne constituent plus qu’un simple décor devant lequel peuvent se développer les véritables thématiques du réalisateur.

De fait, "After Earth" impose une narration moins portée vers l’action que basée sur le transfert émotionnel. À l’instar d’ "Oblivion" de Joseph Kosinski, le dernier Shyamalan s’inspire ouvertement des films de S-F des années soixante-dix, contemplatifs, volontiers esthétisants, et construits sur de faux rythmes narratifs. La photo de Peter Suschitzky, opérateur habituel de David Cronenberg, est saisissante de beauté, esquissant les contours d’une Terre réinvestie par la nature toute-puissante, et la musique du compère de Shyamalan, James Newton Howard, accompagne avec lyrisme le parcours solitaire de Kitai à travers les dangers de la faune et de la flore. Ce trajet initiatique, de souche classique, est traité par les scénaristes Gary Whitta, Stephen Gaghan et Mark Boal avec beaucoup d’intelligence, par le prisme des liens père-fils : Cypher traite son fils comme n’importe quel autre soldat sous ses ordres tandis que celui-ci ne vise qu’à satisfaire son géniteur, hanté qu’il est par un traumatisme psychanalytique, un nœud de lâcheté enfantine. En cela, l’environnement terrestre et la présence du monstre rôdant (on pense d’ailleurs aux créatures invisibles du "Village" dans sa première partie) deviennent des métaphores du test auquel le petit Kitai est confronté pour pouvoir se changer en homme.

En même temps que le garçon se transforme en homme fort, l’adulte, lui, régresse au rang de l’impuissance. La bonne idée du scénario (l’une des bonnes idées) est d’immobiliser rapidement Cypher, blessé aux jambes, pour laisser son fils partir à l’aventure au-delà de l’épave du vaisseau, à la recherche de la balise de secours. Shyamalan est malin. Le spectateur, habitué à voir en Will Smith un héros en mouvement, comme il l’était d’ailleurs dans cet autre film mettant en scène une Terre hostile, "Je suis une légende", se laisse surprendre par ce destin à la James Stewart dans "Fenêtre sur cour", un homme forcé de se faire le témoin passif des événements. C’est donc Kitai qui prend les commandes, simplement parce que c’est lui qui doit découvrir le monde qui l’entoure et se confronter à ses peurs, obstacles que Cypher a déjà franchis. Le fils ne rejoint le père qu’en devenant son prolongement organique parfait, une projection de ce qu’il fut lui-même.

Alors, oui, c’est vrai que le jeu d’acteur de Will et de son fiston Jaden laisse parfois à désirer – le jeune homme se contentant trop souvent d’esquisser une moue contrariée et de baisser les yeux pour exprimer son mécontentement ou sa crainte. C’est vrai, également, que la Shyamalan-touch ne plaira pas à tout le monde, ce mélange de bonne volonté et de naïveté assumée, notamment dans les rapports humains, qui ne surprendra pas les amateurs du "Sixième sens" ou de "Signes". Mais "After Earth" s’en moque ostensiblement. Le choix d’une famille authentique pour incarner les deux rôles principaux ne s’embarrasse pas de considérations actorales, pas plus qu’il ne sacrifie à un effet marketing : il s’agit en réalité de capitaliser sur un lien émotionnel exceptionnel dans la mesure où le film repose entièrement sur ce rapprochement entre le père et le fils. Il n’est plus question de « tuer le père », comme c’était le cas dans le cinéma de S-F des années soixante-dix, mais au contraire de le sauvegarder et d’en faire son allié pour le futur. Voilà une belle leçon d’amour. Voilà une belle leçon de cinéma.

(P.S. : Quant à la polémique sur le message scientologique du film, polémique qui fait florès aux USA, la réponse est dans cet ultime paragraphe : le film évoque la relation de confiance entre un père et son fils. Si un certain vocabulaire et certains symboles faisaient référence à la scientologie, il resterait que le sujet du scénario est ailleurs. Dont acte.)

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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