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SKYFALL

Un film de Sam Mendes

Les démons sont éternels

Lors d’une opération visant à récupérer une importante liste d’agents du MI6 infiltrés dans des groupes terroristes du monde entier, James Bond est laissé pour mort. Trois mois plus tard, le siège du MI6 à Londres subit une cyber-attaque et une violente explosion : M, témoin de la tragédie, est directement visée par le responsable. Remise en cause par sa hiérarchie, obligée de relocaliser les services secrets dans un ancien bunker, poursuivie par ses démons, M ne peut compter que sur une seule personne : Bond, revenu d’entre les morts…

« Skyfall » est l’histoire d’une résurrection : accidentellement touché par une jeune collègue du MI6 en mission, considéré comme mort par ses supérieurs, James Bond se la coule douce quelque part sur une île paradisiaque où il s’adonne à tous les vices, dans l’ombre de sa propre disparition. Son retour l’identifie au phénix – mais un phénix infirme et un peu trop porté sur l’alcool, incapable de tenir son arme sans trembler comme un vieillard. Mais le tournage de ce vingt-troisième James Bond marque aussi la résurrection d’un studio, la MGM ayant dû interrompre la production du film pendant plusieurs mois, en 2010, à cause d’une dette abyssale. L’imbroglio financier qui s'en suivi étant digne d’un scénario d’espionnage à la Ian Fleming, on évitera de trop s’y attarder ; on retiendra simplement que ce Bond signale à la fois le grand retour de la franchise et le sauvetage de la célèbre firme hollywoodienne. Le timing est on ne peut plus symbolique : 2012 est précisément l’année du cinquantenaire de la sortie de « James Bond contre Dr. No », dans lequel Sean Connery endossa, le premier, le costume du charismatique espion britannique.

Au rayon des nouveautés, on notera que le studio a confié, pour la première fois de son histoire, les rênes d’un opus de la saga à un réalisateur oscarisé – Sam Mendes ayant remporté la fameuse statuette pour « American Beauty » en 2000. Difficile d’imaginer le réalisateur de « Jarhead » et des « Sentiers de la perdition » aux commandes d’une grosse production comme celle-ci. Et pourtant, Mendes s’en sort plus qu’avec les honneurs, tant il a su donner à James Bond une couleur nouvelle tout en préservant le cahier des charges imposé, à savoir un personnage principal toujours impeccable, un scénario alambiqué tournoyant autour d’enjeux politiques, un méchant original et des scènes d’action bourrées de testostérone.

Aidé par le chef opérateur des frères Coen et du récent « Time Out », Roger Deakins, Mendes est parvenu à transformer une franchise plutôt caractérisée par sa vigueur narrative en chef-d’œuvre esthétique, en même temps qu’il a offert au personnage de Bond un retour en arrière en forme de pensum mémoriel. « Casino Royale » et « Quantum of Solace » avaient déjà commencé à opérer ce virage vers l’esthétisme (notamment avec la sublime séquence de l’opéra de Puccini dans ce dernier), Mendes a simplement entériné, de fait, l’appartenance des James Bond au domaine des réussites critiques. Et au vu des performances désastreuses de Pierce Brosnan dans les années 2000, il faut avouer que ce tournant n’était pas gagné d’avance.

En plus d’être visuellement très réussi, « Skyfall » propose un parfait mélange entre le Bond d’aujourd’hui et celui qu’il était encore hier, entre l’hommage aux classiques et la grosse machine commerciale destinée à tous les publics. Le scénario de Neal Purvis, Robert Wade et John Logan piétine joyeusement les convenances et les codes pour mieux, en réalité, renouer avec eux. On notera par exemple le retour de Q, dans la peau d’un petit génie de l’informatique (incarné par Ben Whishaw, le Grenouille du « Parfum » de Tom Tykwer), renouant avec la tradition des petits gadgets d’avant mission, tout en prenant soin de s’affranchir des usages antiques : à Bond qui l’interroge du regard, le jeune homme rétorque « Vous vous attendiez à quoi, un stylo qui explose ? On ne donne plus là-dedans. » Manière élégante de signifier que les temps ont changé. Ce qui n’empêchera pas l’histoire de bifurquer, plus tard, vers la rétroaction, lorsque Bond conduit une Aston Martin surgie tout droit des anciens films, tandis que le bon vieux thème de John Barry s’impose sur la bande sonore, avant de retrouver sa maison familiale au milieu de la lande écossaise. Ou comment lier la nostalgie du spectateur à l’introspection d’un personnage qui, en cinquante ans d’existence, n’avait jamais autant révélé de son intimité… psychologique, du moins.

Bond affrontant ses démons intérieurs ? Inédit, oui. Et vertigineux. Car tout « Skyfall » s’apparente à une lente spirale dirigée vers l’intérieur, sur laquelle surferait un spectateur stupéfait, astucieusement trompé par la clarté de l’image numérique ou le classicisme de la chanson titre interprétée par la Londonienne Adèle. Tant d’esbroufe visuelle et sonore, appuyée par d’époustouflantes scènes de poursuites, ferait presque oublier que l’essentiel de l’action de ce Bond se déroule dans Londres intra-muros où l’ennemi de Bond et de M lance plusieurs attaques au nez et à la barbe des services de sécurité, aidé par de faux policiers autant que par l’architecture labyrinthique de la cité.

Cet ennemi – sans vouloir lever le voile sur les recoins du scénario – étant lui-même une créature de l’Angleterre, voilà celle-ci touchée dans son sein par sa propre engeance. Cette trahison se fait l’écho de la paranoïa contemporaine (qui se cache derrière ces hommes et femmes que vous croyez si bien connaître ?) mais rappelle surtout que chaque visage peut dissimuler un autre soi-même terrifiant, une seconde face secrète et sinistre, à l’image de Silva (Javier Bardem) retirant sa prothèse pour révéler une peau flasque et caoutchouteuse.

Si ce n’était pour le caractère ambigu du vilain, ce Bond numéro vingt-trois atteindrait les dernières marches sur l’escalier de la perfection. Mais Silva est tour à tour trop extravagant, trop sérieux, trop ridicule pour qu’on sache réellement sur quel pied danser avec lui – notamment dans la séquence de sa première rencontre avec Bond, dans laquelle l’homosexualité sous-jacente du méchant vient percuter violemment la virilité affichée de l’espion britannique, célèbre pour ses galipettes avec les Jambes Bond Girls de tous pays. Cette séquence est drôle, certes. Néanmoins, elle confond nuances de caractère avec gros sabots psychologiques, et Silva ne parviendra jamais tout à fait à se débarrasser du doute instillé dans l’esprit du spectateur. On se rattrapera avec l’indiscutable élégance esthétique dans laquelle baigne cette aventure à la fois extérieure et intérieure, jusque dans l’inquiétante « orangéité » de la lande écossaise transformée, pour un instant, en décor de fin du monde, avant une conclusion qui oscille entre gravité et humour.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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