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ROJO

Un film de Benjamin Naishtat

Rouge pas très profond

Argentine, 1975. Claudio, avocat réputé et notable local, mène une existence confortable, acceptant de fermer les yeux sur les pratiques du régime en place. Lors d’un dîner, il est violemment pris à parti par un inconnu et l’altercation vire au drame. Claudio fait en sorte d’étouffer l’affaire, sans se douter que cette décision va l’entraîner dans une spirale sans fin…

Rojo film image

Ceux qui ont pu voir les deux précédents films de Benjamin Naishtat ("Historia Del Miedo" et "El Movimiento") ont sûrement dû remarquer que ce jeune réalisateur argentin avait un peu tendance à laisser au spectateur une grande liberté d’interprétation. Le reproche qu’on pouvait alors lui faire – et qu’on lui fera encore plus à propos de "Rojo" – était de ne se reposer que là-dessus afin de faire passer pour profond un puzzle à la structure relativement artificielle et distanciée. Avec un sujet en or (les racines de la dictature argentine), un angle audacieux (la corruption et l’hypocrisie de la bourgeoisie) et un titre qui ne cache rien (il s’agit d’une référence aux militants communistes ostracisés et traqués par la dictature), "Rojo" visait haut. Trop haut, pourra-t-on dire, au vu d’un thriller sans tension ni enjeu narratif réellement installé, qui finit par se métamorphoser un peu malgré lui en exercice de style dénué de toute stimulation. La faute est hélas entièrement due à son réalisateur, qui avait le sujet et la direction artistique qu’il lui fallait, mais qui n’a jamais su les harmoniser.

Hormis une ou deux scènes que le réalisateur expédie assez vite, le seul intérêt de l’intrigue se borne à suivre un avocat corrompu (Dario Grandinetti, vu dans "Parle avec elle") qui tente de dissimuler un meurtre suite à une confrontation ayant dégénéré dans un restaurant – peut-être la seule scène un minimum tendue du film. Intéressant en tant que tel, mais cette petite histoire, en plus de ne jamais s’inclure convenablement dans la grande, ne dégage pas la moindre tension. Le reste, tirant à hue et à dia entre des sous-intrigues sans intérêt et des magouilles immobilières peu captivantes, dessine peu à peu les contours d’un récit sinon décousu, en tout cas peu apte à intriguer. Quant au contexte politique que le film voudrait tancer, il n’est ici corollaire que d’une direction artistique aux petits oignons, en particulier une belle photographie qui nous rappelle la pureté de la pellicule argentique. C’est joli vingt minutes, ça lasse vite sur 1h45, cette ambition formelle ne se reposant sur rien de sensitif pour nous donner l’impression de pénétrer un contexte et/ou un état d’esprit. Ne restent alors de ce film triplement primé au Festival de San Sebastian 2018 (meilleurs réalisateur, acteur et photographie), qu’une poignée d’effets intéressants, à défaut d’être utiles (des ralentis affichant le malaise du protagoniste, une éclipse solaire qui rend soudain l’image rougeâtre, etc…), ainsi qu’une mise au point finale en plein désert qui fait penser à une scène entre Robert De Niro et Joe Pesci dans le "Casino" de Martin Scorsese.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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