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HARKA

Un film de Lotfy Nathan

Un drame bouillonnant et incandescent

Ali a beau avoir encore le physique d’un adolescent, c’est sur ses frêles épaules que repose le sort de ses deux sœurs cadettes, suite à la mort de leur père. Pour éviter l’expulsion, il vend de l’essence de contrebande, mais le pactole se fait rare. En lui, la colère monte…

Harka film movie

La dernière fois que nous avions entendu parler de Lotfy Nathan, c’était en tant que producteur pour "Charm City Kings", une fiction prenant racine dans le documentaire qu’il avait réalisé, "12 O'Clock Boys" sur fond de rodéo urbain à Baltimore. Dans ce projet de 2020, mis en scène par Angel Manuel Soto, on suivait un jeune garçon essayer de trouver sa place dans le monde tout en s’assurant de mettre son foyer à l’abri, sa famille étant composée uniquement de figures féminines. Si "Harka" ne situe pas son intrigue aux États-Unis, le postulat est similaire : Ali compte multiplier les combines pour éviter l’expulsion et protéger ses deux sœurs cadettes. On y retrouve également ce point de vue enfantin, matérialisé ici par une voix-off proche du conte (« dans mon pays, on croit à la magie »), forme dramaturgique qui permet au cinéaste d’apposer une bienveillance solaire sur ses protagonistes avec une montée en tension constante, dont le point de non-retour, que l’on sait inéluctable, s’esquisse en filigrane.

Si Lotfy Nathan poursuit son exploration singulière de la famille et de ses thématiques sociales, le destin de son protagoniste est moins une réflexion sur le paupérisme héréditaire que sur les maux de la société tunisienne et sa corruption systémique. À chaque bidon d’essence de contrebande vendu, les quelques dinars obtenus sont immédiatement « partagés » avec la police locale, lorsqu’il n’est pas roué de coups pour oser témoigner un signe de révolte. Alors Ali, comme beaucoup de ses contemporains, ne rêve que de fuir, rejoindre l’Europe, cette terre où ses rêves n’auront pas encore été broyés. Le Printemps arabe n’est plus qu’une lointaine chimère. Quelques cris d’insurrection retentissent encore dans la ville, comme un souffle de désespoir, mais plus personne n’est dupe, la naïveté s’est envolée. La colère du peuple devient l’épuisement d’un adolescent.

Fable humaniste saisissante, le métrage souffre de quelques facilités scénaristiques et de paresses de montage (l’abus de violons notamment), mais cela n’entache en rien la puissance du propos et l’authenticité de ce naturalisme. Remarqué durant sa sélection au Certain Regard du Festival de cannes 2022, "Harka" confirme tout l’éclat du cinéma tunisien post-2010, engagé et enragé. Quant à Lotfy Nathan, le film devrait lui faire prendre une autre dimension, emportant avec lui dans son sillon Adam Bessa, impressionnant dans le rôle principal (et récompensé du prix du meilleur acteur). Rendez-vous en compétition officielle ?

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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