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EMBARGO

Un film de António Ferreira

Une métaphore de l’homme ?

Dans un Portugal soumis à un embargo, la pénurie d’essence est proche. Nuno multiplie les plans foireux pour continuer à rêver. Avec sa vieille Opel qu’il alimente comme il peut, il tente de vendre son invention : un scanner de pied destiné à l’industrie de la chaussure. Problème : il devient étrangement prisonnier de sa voiture…

Dès le début, tout un tas de références cinématographiques (influences conscientes ou non) viennent à l’esprit et s’entremêlent : avec ses gamins espiègles, la première scène oscille entre la parodie de western et la douce folie d’un Kusturica sans excès – choix musical à l’appui. Puis s’installe un univers ubuesque et partiellement baroque, qui fait de ce film un étrange mélange de Tati, de Jeunet-Caro au temps de « Delicatessen » (avec cette ambiance de civilisation en déchéance) et de cinéma scandinave à l’humour un peu froid et franchement décalé (entre « Kitchen Stories » et « Norway of Life »). Bref, un maëlstrom cinématographique qui permet à Ferreira de créer un monde où l’homme semble perdre contrôle de tout ce qu’il a imaginé et créé, au point de perdre tout repère et tout sens des priorités.

Pour traiter son sujet, le réalisateur portugais a choisi de créer un univers visuel intemporel : on est bien à une période contemporaine puisque les personnages utilisent l’euro, mais l’esthétique volontairement désuète est plutôt à cheval entre les 70s et les 80s (là aussi, on pourrait probablement lister de nombreuses influences potentielles). Cela lui permet ainsi de donner à son propos une valeur universelle alors même que l’histoire se déroule bel et bien au Portugal. Et ce propos, c’est avant tout le matérialisme de nos sociétés. Mais Ferreira ne tombe pas dans le discours moralisant, auteuriste et simpliste qui caractérise trop souvent les dénonciations cinématographiques (généralement anti-capitalistes) du matérialisme. Ici, on est plutôt dans quelque chose de poétique et d’humano-centré, se concentrant sur ce qu’est profondément un être humain et oubliant volontairement les considérations idéologiques lourdes qui auraient rendu stérile la critique. D’ailleurs la critique est d’autant plus saine et nuancée que le film montre aussi une certaine fascination pour les objets, à travers un traitement graphique quasi-fétichiste – ce qui peut paraître paradoxal, mais ne l'est nullement !

Ferreira axe donc sa caméra en priorité sur l’être humain et s’attache à montrer simplement son aliénation à la machine à travers l’obsession du personnage principal, Nuno, pour ses propres inventions et le rapport intime qu’il entretient malgré lui avec sa vieille Opel. L’esclavage inversé de l’homme envers son véhicule aurait pu tomber dans une pâle caricature de Cronenberg ou dans une sorte de « Duel » alternatif (les plans du personnage, confus voire angoissé, dans sa voiture font irrémédiablement penser au chef-d’œuvre de Spielberg) mais Ferreira alterne plutôt humour et poésie, sans négliger les relations de Nuno avec sa femme et sa fille – un mélange touchant de maladresse et de tendresse. Évidemment, on ne trouve ici aucune surenchère d’effets spéciaux, l’esthétique collant parfaitement à l’essence même de ce personnage bricoleur et rêveur, le réalisateur préférant donc utiliser des effets visuels simples et une musique en soutien, notamment dans les moments de folie où elle s’emballe, un peu à la « Punch-Drunk Love », à coup de percussions et de bruits indéterminés.

Dans un final réjouissant et loin des clichés (attention spoiler droit devant !), Nuno prend finalement le dessus à la faveur de la non-autonomie de la machine (on n’est pas dans « I Robot » !) et abandonne toute velléité d’enrichissement en acceptant un échange déséquilibré avec des enfants (notons que si Nuno semble être « guéri » du matérialisme, la génération suivante a le potentiel d’être assez rapace et opportuniste !). On se rend alors compte que le film était un drôle de road-movie, qui glisse ainsi vers une douceur poétique et contemplative (là encore avec un rôle important de la bande sonore), où Nuno fait de la trottinette sur un chemin de terre, retrouvant finalement ce qu’il est intrinsèquement : un rêveur maladroit et un éternel enfant. Une métaphore de l’homme ?

Laurence SalfatiEnvoyer un message au rédacteur

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