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ELAHA

Un film de Milena Aboyan

Elaha ou la révolte silencieuse

Elaha est une jeune femme de 22 ans, Kurde, vivant en Allemagne avec sa famille. Elle mène une vie entre respect des traditions et volonté d’émancipation. Mais tout s’accélère le jour où son mariage se met en place : pour sauver son honneur et celui de sa communauté, Elaha doit trouver un moyen pour reconstruire son hymen, afin de se présenter vierge à la cérémonie, comme les coutumes l’exigent. Commence alors un voyage pour Elaha qui va l’amener à remettre en question l’ordre établi…

Milena Aboyan est une actrice, réalisatrice et scénariste kurde, née en Arménie et installée depuis 2010 en Allemagne. La volonté de parler des jeunes femmes (et des femmes en général) de sa communauté et de ce qu’elles endurent de façon sourde, tant au niveau social qu’au niveau intime, se traduit d’entrée de jeu par cette caméra portée à l’éclairage naturel, et surtout par le choix de son format 4:3. Rien qu’au niveau formel, la cinéaste envoie des messages clairs et limpides : tout comme ce cadre qui enferme notre protagoniste, l’enjeu sera de l’élargir, voire de s’en échapper. Ce choix d’image permet également d’augmenter cette sensation d’enfermement en accentuant les lignes de fuites, le côté vertical de l’image symbolisant les barreaux d’une prison. Elaha va devoir s’en échapper, mais avant, c’est tout un voyage de prise de conscience autour de l’héritage, la transmission et l’amour que nos proches nous portent qu’elle va devoir entreprendre. De quoi est fait cet amour ? Est-il inconditionnel, ou au contraire soumis aux règles de la communauté ? Et s’en extirper risquerait-il de provoquer le rejet ?

C’est tout autour de ces questions que le film gravite, tout en pointant du doigt que ces règles entourant le quotidien de ces jeunes femmes ne sont réservées qu’à elles. Notre jeune protagoniste constate au fur et à mesure les paradoxes et les injustices du microcosme dans lequel elle évolue. Pire, elle constate, et nous spectateurs avec, au grès des interactions, que toutes ces règles et croyances ne font qu’entacher les liens des personnages entre eux. C’est le cas pour la bande d’amies avides de ragots qui cherche une épaule de confiance pour se confier sur leur sexualité interdite, mais qui n’arrive pas à s’empêcher de se juger entre elles, ou encore ce futur mari, qui à force de tasser ses émotions, se révèle presque violent quand il s’agirait seulement d’écouter.

Cette caméra presque documentaire nous permet de croire à ces échanges et d’y déceler les détails qui n’appartiennent pas aux personnages, mais à leur système. Ils sont eux aussi victimes de quelque chose qui les enferme et les aliène dans leurs rapports. Mais on nous montre bien la position confortable des hommes au sein de cette mini-société, qui peuvent se permettre d'être décadents, malpolis, eux qui sont exempts de pression vis-à -vis de leur virginité. Toute la quête de notre héroïne autour de la reconstruction de son hymen ne fait que retranscrire son voyage initiatique intérieur afin de se défaire des dogmes qui l’entourent. Mais cette fin nous montre une jeune femme ayant embrasé ses désirs, qui décide de tout mettre littéralement au sale, et qui reste bouche bée face au lave linge tout le temps du générique.

Malgré un regard caméra après ses ébats sous la couette, avec cette scène de fin, on ne sait pas finalement ce qui advient de son parcours. Va-t-elle prendre à droite ou à gauche ? Tout laisse entendre qu’il ne sera finalement pas si simple de se débarrasser du poids qu’elle porte, il ne suffit pas de laver ses vêtements, c’est un chemin de longue haleine qui commence à peine. On a été très touché du caractère social et engagé du film, mais il aurait été souhaitable que sa réalisatrice retranscrive les choses moins à la façon d’une pièce théâtre et plus en utilisant le médium cinématographique en faisant parler un peu plus son image, ses corps, la verticalité de son format, plutôt que de rester en retrait. Mais peut être que même la caméra rend compte de la retenue du personnage de Elaha, justement interprété par Bayan Layla. Elle aussi est coincée dans un carcan traditionaliste et castrateur.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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