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PETITS MEURTRES A L'ANGLAISE

Un film de Jonathan Lynn

Théière à gages

Rose est une belle et pétillante jeune femme qui gagne sa vie en vendant des copies de tableaux célèbres. Le jour où elle escroque un gangster amateur d’art, celui-ci envoie à ses trousses Victor Maynard, le tueur à gages « le plus cher et le plus efficace d’Europe ». Mais, ébloui par la jeune femme, il décide de lui laisser la vie sauve et devient son protecteur…

Remake improbable du très frenchie « Cible émouvante » de Pierre Salvadori, « Petits meurtres à l’anglaise » (« Wild Target » en V.O.) se veut en être la version pudding, thé et gags british, mâtinée d’une bonne dose de cynisme. Dès les premiers instants du film, dédiés à l’installation du personnage de Victor Maynard (le stoïque Bill Nighy), le ton général est donné : violence, cynisme et humour britannique bien dosé seront les ingrédients de cette délicieuse recette. Il est vrai que nous aurions pu nous méfier du goût comme de celui d’un pudding, car « Petits meurtres à l’anglaise » aurait pu faire partie de cette catégorie de polars comiques qui ont l’aspect appétissant et la saveur ignoble du fameux dessert british (le choix du titre français, qui joue la proximité avec le sacro-saint film de Danny Boyle, entretient furieusement ce doute). Belle surprise que de découvrir, sous la croute épaisse du gâteau, un vrai relent de sarcasme réussi – ce qui n’est plus si banal en nos jours de déliquescence économique. Les Anglais sont décidément très forts pour cuisiner ce genre de friandise humoristique, très ancrée dans une certaine tradition ubuesque – l’intervention d’un perroquet embarrassant nous fait immédiatement penser à un sketch hilarant des Monty Pythons – et tout entière incarnée par la rigidité physique et morale de son protagoniste principal.

Partis de ce constat, on pourra regarder ce nouvel opus du britannique Jonathan Lynn (« Mon voisin le tueur ») selon deux angles de vue. D’une part, en considérant uniquement le plaisir d’un récit plutôt bien rédigé et filmé, rythmé par une suite de séquences tour à tour plaisantes et surprenantes. D’autre part, comme un vaste fourre-tout éthologique où l’on s’amuse manifestement à faire défiler des caractères et des comportements tout à fait archétypaux. Ainsi le collectionneur mafieux (interprété par Rupert Everett) qui, trompé par Rose (Emily Blunt), lance à ses trousses un tueur à gages afin de se venger, est-il accompagné d’un acolyte parfaitement stupide qui manque se faire dégommer à plusieurs reprises ; quant au tueur à gages engagé pour supprimer Maynard, le premier de son espèce devenu soudainement émotif, il se voit également affublé d’un partenaire caricatural, masse de muscles et de sang froid dénuée d’une once de sensation (et sans doute d’intelligence), tandis que lui-même s’avère être un éternel « numéro deux » de la profession, désireux de monter sur la plus haute marche du podium. Ces comportements très codifiés sont comme le tribut payé par Lynn au genre du « polar cool » mélangé à un cynisme très british.

Le principal intérêt de ce film-valise reste donc sa galerie de personnages, dominée par le trio Nighy – Blunt – Grint. Bill Nighy, que l’on a vu récemment dans le très entraînant « Good Morning England », chausse avec subtilité les pénates du tueur à gages le plus professionnel de tout le Royaume-Uni, perfectionniste jusqu’au bout des ongles – et pour cause, puisque chez les Maynard, le crime est une vraie petite affaire de famille qui se transmet de père en fils. A cet égard, la première confrontation du personnage avec son horrible mère grabataire, sorte de Mme Bates matérialisée, dans la maison de retraite où elle niche, inaugure le ton comico-sarcastique qui prévaudra durant le reste du long-métrage ; l’on y apprend par la bouche de la vieille femme que le père de Victor fut lui-même un célèbre assassin spécialisé, et que le fiston, du haut de sa cinquantaine bien tapée, devrait songer à se trouver une compagne afin de perpétuer l’espèce !

Sa rencontre avec Rose tient quelque peu du miracle, elle qui incarne un mode d’existence exactement inverse du sien : alors qu’il calcule le moindre de ses mouvements, elle se laisse porter par la vague ; alors qu’il brille par son organisation et son professionnalisme, tout entiers dirigés vers un plan de carrière réglé au millimètre et une volonté de ne laisser jamais la moindre trace, elle agit sans cesse dans l’impulsivité et la démesure, improvisant constamment la prochaine seconde de sa vie. Cette apparente insouciance, doublée du charme indiscutable de la comédienne Emily Blunt, charme qui agissait déjà pleinement dans « Victoria » ou récemment « Wolfman », confond si parfaitement le psychorigide tueur qu’il en vient à se dénuder de cette protection imperméable qu’il a toujours portée pour se protéger des autres – à l’image de ces plastiques entourant tous ses meubles qu’il envoie valser sous l’impulsion de sa nouvelle égérie.

Quant à Rupert Grint, parvenu à s’échapper pour un court instant de l’école de Poudlard, il a rangé sa baguette magique pour lui préférer la cigarette. A ne regarder que les « Harry Potter » qui ont fait de lui une star chez les adolescents (moins que Daniel Radcliffe, mais tout de même), on en aurait presque oublié que Grint, comme ses camarades de tournage, reste avant tout un jeune homme du monde réel. Son personnage, Tony, vogue entre la stupidité naïve et une insupportable incapacité à agir. Jusqu’à ce que Maynard voie en lui un héritier potentiel de son immense savoir balistique, il passe son temps dans les baignoires à écluser des tiges de tabac comme on avale des Mikado. Voilà une image qui le transformera radicalement aux yeux des « pottermaniaques » et encouragera sans doute une carrière au-delà des balais volants et des magiciens à lunettes.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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