INTERVIEW
YOUNG HEARTS
Anthony Schatteman
réalisateur et scénaristeC’est à Paris, dans les salons de la Délégation de la Flandre, à deux pas de l’Arc de Triomphe, que nous avons pu rencontrer Anthony Schatteman, réalisateur-scénariste du film « Young Hearts« , découvert lors de la Berlinale 2024 et passé depuis par le Festival Cannes dans la section Cannes Junior.

Un film lumineux sur le coming out
Journaliste :
Votre film porte sur la découverte de soi, comme étant différent, comme étant gay, et ce qu'on appelle « sortir du placard ». Il y a beaucoup de films qui parlent de ce processus de « Coming Out » depuis une vingtaine d'années. Il semble que votre façon de l'aborder est volontairement lumineuse, ensoleillée et optimiste. Est-ce que c'était un choix depuis le début, une nécessité en opposition aux films gays représentant les relations entre les homos dans les années 80 et 90 ?
Anthony Schatteman :
Pour moi, c'était vraiment important de faire un film qui vous élève. Je pense que tous les autres films étaient déjà là et ils sont aussi très importants Mais dans beaucoup de films avec la thématique gay, c'est quelque chose de négatif : c'est le VIH, c'est un père homophobe, etc. Il y a des personnes qui harcèlent le personnage principal. Et c'était important de ne pas faire ce type de film.
Initialement, j'ai vraiment fait le film pour une plus jeune version de moi-même. Parce que quand j'étais jeune, j'avais beaucoup de questions sur mon identité. Je pense que le premier film que j'ai vraiment regardé, sachant que c'était un film gay, c'était "Brokeback Mountain". J'avais déjà 17 ans. Avec ce film, j'ai remarqué qu'il y avait un marché du cinéma queer. Mais dans beaucoup de films, il y a des scènes sexuelles. Dans "Brokeback Mountain", il y a la scène dans la tente. Dans "Call Me By Your Name", l y a la scène de la pêche.
Il y a ça dans tous les films de « coming of age ». Même dans un film belge appelé "North Sea Texas" ("Sur le Chemin des Dunes") par Bavo Defurne. C'est un très beau film, mais dans les 10 premiers minutes, les personnages se branlent ensemble dans le jardin. Chacun de ces films est incroyable et important. Mais les enfants d'aujourd'hui commencent à réaliser qui ils sont, à 8, 9, 10 ans, et pensent qu'ils ne sont pas comme les autres. Je me disais : quel film tu peux montrer à des enfants ? C'était un peu le point de départ : je voulais faire un film visible pour toutes les générations. Pour aussi montrer que c'est ok de suivre ton cœur et d’être toi-même, et que l'amour c'est quelque chose d'universel. C'est pour ça que j'ai décidé de faire un film pour un plus jeune public : pour rester loin de tous les autres films, car ils sont déjà là. Je voulais faire quelque chose de nouveau.
Et parce que je voulais le faire pour un plus jeune public, je voulais aussi le faire comme un film de Disney. J'ai grandi avec tous les classiques Disney. Mais dans tous ces films, il y avait toujours une fille et un garçon qui s'aimaient. Mais je n'ai jamais vu ça avec deux garçons. Donc j'ai vraiment fait un film d'amour, romantique, façon Hollywood, avec deux garçons. Dans un sens ensoleillée, coloré, et musical.
Une thématique du harcèlement volontairement éloignée
Journaliste :
Le thème du harcèlement est traité à un moment avec les gars sur leurs vélos, et quand les deux garçons vont se cacher, après leurs insultes, on peut dire dans cette espèce de vieux château, un très beau lieu. Mais vous préférez laisser ça de côté pour la suite de l'histoire, et vous concentrer seulement sur leur histoire à eux deux.
Anthony Schatteman :
J'ai voulu aborder la lutte interne d'un jeune adolescent qui ne se sent pas à sa place. J'ai toujours pensé que j'étais un peu anormal, parce que je n'avais pas d'exemples dans mon village, et aussi pas dans ma famille. Tout mon environnement était hétéro : la télévision, les livres, les publicités, à l'école où on apprend aussi à parler d'un garçon et d'une fille, d'une famille...
Journaliste :
En fait Elias fait ce qu'il fait avec Valérie... Il imite les autres...
Anthony Schatteman :
Il imite ce qu'il pense être normal. Les personnages sont basés sur ma famille. Mon frère a toujours eu des jolies filles, et mon père était vraiment fier de ça. Il disait toujours que je faisais très bien aussi, parce que moi, j'avais beaucoup de copines, tout le temps... Mon père disait : « ah, tu es un vrai playboy ». J'avais tellement de stress à cause de ça, parce que je n'étais pas un playboy.
Journaliste :
Mais c'était son image de vous...
Anthony Schatteman :
C'était l'image qu'il avait de moi. Et parce que dans la ville, mon père était un peu connu. Il était très connu quand j'étais jeune. C'est pour ça que certains enfants à l'école, ils ne m'ont pas harcelé parce que j'étais gay. Le mot gay n'était pas là. Le mot gay, ils ne savaient pas ce que ça signifiait. Mais certains enfants m'ont harcelé parce que mon père était un chanteur. Du coup j'ai eu honte de ses chansons...
Et ensuite, j'ai voulu mettre du conflit dans le film, parce que je pense qu'Elias a honte devant tout le monde. Il a honte pour son père, face à sa mère, face aux autres enfants à l'école. Et même avec son groupe d'amis, il ressent un peu de honte. Et c'est pour ça que j'ai décidé de mettre la scène avec les harceleurs, et aussi la scène du magazine.
Et je me suis demandé si j'avais besoin d'une résolution dans le film à ce sujet. Je n'ai jamais personnellement eu de moment avec les harceleurs. Ils sont toujours là-bas. Mais j'ai aussi pensé « je les emmerde ». Je pense qu'ils seront toujours là. Certaines personnes auront toujours des choses négatives à dire sur les autres : que tu es un peu trop gros, ou trop maigre... Certaines personnes sont juste stupides.
Une volontaire absence de repère temporel
Journaliste :
Je me suis demandé en voyant le film, pourquoi cette prédominance des vélos ? Au début, je pensais que c'était symbolique de la liberté à cet âge. Mais pour nous, les Français, ce serait plus à cet âge la mobylette. Est-ce que c'est une chose culturelle en Belgique ?
Anthony Schatteman :
Je pense que c'est une chose culturelle parce qu’on a décidé de tourner tout le film dans mon village : la rue, l'école, tout ça. Alors, qu'est-ce que j'ai fait ? Je me suis vraiment demandé comment j'ai vécu, comment j'étais quand j'avais cet âge... J'allais à l'école sur ces mêmes rues, en vélo. Mais quand j'étais sur mon vélo, j'avais ce sentiment que j'étais libre, dans la nature aussi, parce qu'on devait passer au milieu de la nature et c'était toujours magnifique. Donc j'ai décidé de toujours filmer en plans larges dans la nature. Et quand Elias est à l'intérieur, j'ai toujours voulu qu'il y ait des gros plans parce qu'il me semble qu'il se sent enfermé. Mais dans la nature, spécialement quand il est avec Alexandre, il est plus libre. Peut-être que c'est une métaphore...
Journaliste :
En fait je me disais aussi qu'exceptés les smartphones, les textos, il n'y a pas de repère temporel qui permet de les situer... Donc au début, je me disais que c'était les années 80...
Anthony Schatteman :
C'était aussi ce que je voulais faire. Je me disais que je voulais mettre l'histoire en 2000, quand j'avais cet âge. Mais je voulais qu'elle soit valable aussi maintenant, en 2024, quand j'ai filmé. Mais ensuite, tout le monde m'a dit que ces enfants aujourd’hui ont des smartphones. Ils sont sur les smartphones tout le temps. Donc j'ai dû mettre des smartphones. Mais j'ai vraiment choisi les endroits, les maisons, l'intérieur, les vélos... Les vélos sont de ma grand-mère et mon grand-père. J'ai utilisé tous ces éléments pour rendre l'histoire plus universelle.
C'est un peu comme dans "Call Me By Your Name". Tu ne sais pas en quelle année c'est. Les années 70, 80, 90, ça peut être tout cela. Je pense que c'est bien parce que beaucoup de générations peuvent se retrouver dans cette liberté du vélo pour aller à l'école. Certaines personnes m'ont dit que « c'est comme la campagne en France ». Donc c'était vraiment important pour moi d'avoir ce sentiment universel. L'été, quand tu es jeune, ça semble durer pour toujours. Et c'est tellement incroyable parce que tu n'as pas d'inquiétudes quand tu as cet âge là.
Un casting pas évident
Journaliste :
Et pour le casting, est-ce que c'était facile de trouver ces deux types vraiment différents de garçons ? Un, Alexandre, est plus à l'aise, avec son propre corps… quand ils vont se baigner, il se met tout nu. Et Elias qui est à la fois plus réservé, et curieux des choses...
Anthony Schatteman :
Alexandre est vraiment tout ce qu'Elias n'est pas, au début du film. Donc j'ai vraiment dû trouver un garçon urbain qui parle aussi le néerlandais et le français. Donc on n'a pas beaucoup de choix en Belgique. On savait que Bruxelles était la région pour trouver Alexandre. On a vu 1500 garçons. C'était très dur, mais on a trouvé un moyen de voir beaucoup de garçons dans une seule journée. C'était toujours moi et Oliver, qui est le psychologue-thérapeute, qui était toujours là au début du casting, et ensuite s'ils ont des problèmes ou des questions. Et on ne les a jamais laissés jouer, on a juste fait des ateliers avec eux, des danses... Marius était là avec les onglets vernis. Il était très cool, avec un vrai je m'en foustime... très Alexandre. Il y avait des jeux et il s'en foutait. J'ai vraiment aimé son énergie, sa présence. On ne voyait pas ses cheveux, il avait une casquette. C'était vraiment un beau garçon. Et je souhaitais vraiment qu'on ait un beau garçon.
Après ça, je me suis dit qu'on ne les trouverait pas. Mais j'ai vu avec Marius que c'était l'âge dont on avait besoin. Il y a une innocence qui était très importante, parce que je ne voulais pas des enfants, mais aussi pas encore des adultes. Juste ce moment entre les deux où on tombe amoureux, sans fantasmes sexuels... On a visité des écoles, notamment celle où on avait trouvé Gustave du film "Close". C'est une école d'art à Bruxelles avec beaucoup de talents. Et là, on a vu Marius jouer au football avec ses amis, sans sa casquette. Il avait l'air d'un ange qui jouait au football, avec ses cheveux... Et j'ai décidé que c'était le bon, car il avait cette énergie. Il a alors fallu trouver la bonne paire, et on a eu la chance que Lou soit arrivé le week-end après. Et on a vu que les deux garçons ont vraiment connecté. Depuis, ils sont les meilleurs amis. Et on a passé 6 mois à manger des tas de glaces, faire du bowling... On a regardé des films, on a lu le script. On ne leur a jamais fait apprendre les lignes.
Ils savaient ce que je voulais faire. Les 4 d'entre nous, moi, Oliver et les deux garçons, on est devenus très proches. On connaissait tous les rêves et les peurs des uns et des autres, parce qu'on s'est ouvert tellement tôt sur nos émotions. Un bon truc d'Oliver c'est qu'il a demandé aux garçons ce qui les rend heureux. Parce que sur le plateau, on doit être heureux. Il a aussi demandé ce qui les rend tristes. Lou m'a dit que dans quelques mois son frère allait partir à l'université. « Et j'ai peur que je vais perdre mon frère », il a dit. Donc il a commencé à pleurer. J'ai commencé à pleurer. Tout le monde s'est mis à pleurer. Et c'était une bonne chose parce qu'on pouvait vraiment utiliser ces moments. Sur le plateau il y a une équipe de 50 personnes ou plus. Mais c'était juste nous 4. Dans la scène de la voiture, Lou m'a demandé : « je dois pleurer ? » Et moi j'ai dit « on verra ». Donc j'ai commencé avec le gros plan. Et je n'ai fait qu'une seule prise parce qu'il a fait ça instantanément...
Journaliste :
Et Valérie ?
Anthony Schatteman :
Valérie, elle était 1 an plus âgée. Mais c'est une très bonne actrice. J'ai immédiatement su que c'était elle. Quand j'étais petit, toutes mes copines féminines étaient plus âgées. Elles étaient un peu plus matures. Pour moi, elle était une copie exacte d'une de mes meilleures amies quand j'étais jeune. Je pense qu'elle est incroyable. Elle est tellement bonne. Et aussi la connexion avec le groupe d'amis était belle.
L'histoire au départ avec Valérie était beaucoup plus importante dans le film. Donc on a dû couper beaucoup de scènes. C'est un peu triste, mais pour l'histoire, c'est bien. Je pense qu'elle est vraiment forte. Parce qu'au final, c'est comme ça. Certaines personnes disent que les femmes sont parfois trop passives. Mais je pense que c'est aussi très fort de sa part, de faire ce qu'elle fait.
Les métiers des parents et grand parents
Journaliste :
Votre père était lui-même un chanteur. Je dirais que dans le film il y a deux types de figures paternelles. Le père, qui se concentre sur son travail et ne voit pas ce qui est en train d'arriver. Et le grand-père qui est veuf, mais qui est plus ouvert à l'écoute. Votre grand-père était-il un fermier ? Ou avez-vous eu l'idée de changer ce travail pour qu'il s'éloigne de votre propre histoire ?
Anthony Schatteman :
Le père de mon père avait une entreprise de nourriture pour les animaux. On avait une très grande entreprise avec beaucoup de cochons... C'était moins romantique. Et mon père a commencé sa carrière, donc il a dû sortir de l'entreprise pour celle-ci. Les parents attendent beaucoup de leurs enfants. Les grands-parents sont plus faciles. Et j'ai pris mes 4 grands-parents et je les ai transformés en un seul personnage. Parce que ma grand-mère, la mère de ma mère venait de Suisse, elle était très ouverte, elle avait un esprit libre. Elle est morte quand j'avais 13 ans, juste avant que je commence à avoir ces émotions. Donc j'ai toujours pensé que si ma grand-mère avait vécu plus longtemps, j'aurais eu sans doute ces moments avec elle.
Et mon autre grand-mère est encore en vie. Et mon grand-père est mort il y a 10 ans. Et elle me dit toujours « Anthony, tu ne peux pas croire combien c'est important d'être ensemble depuis longtemps ». Un jour, alors qu'écrivant mon scénario, je passais beaucoup de temps avec elle, et elle m'a dit, « Une fois que tu trouves l'amour, tu dois vraiment foncer, parce qu'il peut t'être facilement enlevé. » Et là je me suis dit : « J'ai mon film ! ». C'était vraiment agréable.
Et mon père était toujours loin... Ce fut aussi vraiment dur pour lui, parce que c'est la dernière personne à qui je l'ai dit. J'avais 21 ans. Parce que je ne voulais pas le décevoir. Mais aussi parce qu'il avait d'autres idées, je pense, parce qu'il était dans le showbiz et tout le monde était vraiment ouvert et queer. Mais je voulais vraiment lui prouver que je suis juste le même garçon et qu'il ne me compare pas à des gens extravagants. Mais maintenant, il va bien. Et le film nous a tous rapprochés.
Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur